L'affaire de l'opposant Ali Mecili est devenue peu à peu l'affaire du diplomate Mohamed-Ziane Hasseni. En matière de justice, l'obstination des enquêteurs n'est jamais à dédaigner puisque la recherche de la vérité vaut d'explorer toutes les voies. Mais quand les signes d'une fausse route apparaissent, il ne faut pas se gêner de s'en détourner au plus vite. Cela ne semble pas être le cas du juge français Baudoin Thouvenot, dont l'acharnement rappelle l'histoire de cet élève confronté à un devoir de sciences naturelles portant sur deux leçons, alors qu'il n'en avait appris qu'une seule. Manque de pot : le jour J, les épreuves se rapportent à l'éléphant, alors que notre garnement était en mesure de réciter le cours sur le lombric. Qu'à cela ne tienne : il va faire étalage de tout son savoir grâce à une pirouette : l'éléphant possède une queue qui ressemble au lombric, lequel... Et à l'élève de réciter son cours appris par cœur. Ainsi semble être le juge Thouvenot. À défaut d'attraper Rachid Hassani qu'il recherche, il s'accroche à Mohamed-Ziane Hasseni tombé dans ses griffes. Le lombric Hasseni a eu beau se montrer dans toute sa nature, on continue de le considérer comme l'éléphant Hassani. Sans jeu de mots, la différence est pourtant de taille. Jusqu'à quand cette confusion sera-telle entretenue ? A priori, plus pour longtemps. Le juge qui a exhumé un dossier classé en 1993 vient d'être lâché par son plus important témoin, celui qui lui a permis de reprendre l'instruction de l'assassinat de l'opposant en 1987 à Paris. L'ancien officier du renseignement, Mohamed Samraoui, n'a pas pu être entendu alors qu'il avait reçu une convocation du juge pour jeudi dernier. Liberté avait relevé le casse-tête que son audition allait soulever en raison du mandat d'arrêt international qui le poursuit. Une audition par vidéo-conférence a été envisagée. Elle n'a pas eu lieu. En réalité, l'ex-officier, réfugié en Allemagne après avoir fait défection, semble craindre un retournement de situation. En justice, on peut passer de témoin à charge, comme c'est son cas, à celui d'inculpé pour culpabilité ou complicité. Et c'est ce que semble redouter Mohamed Samraoui accablé dans ce dossier par un autre ancien officier du renseignement. Hichem Aboud, lui, s'est rendu auprès du juge qui l'a auditionné pendant trois heures. Il a mis en ligne un résumé de sa déposition. “Samraoui n'est pas un témoin. En inventant une histoire abracadabrante impliquant quelqu'un qui n'a rien à voir avec l'affaire, il a fini par révéler qu'il est complice et non pas témoin. Après quelques interventions sporadiques faites sur des sites Internet sans grande audience, et ce, à la demande de certains de ses anciens agents, il a fini par reculer au moment où les choses sérieuses ont commencé. Invoquant le mandat d'arrêt international lancé contre lui, Mohamed Samraoui, alias Lahbib, a trouvé le bon prétexte pour ne pas se présenter au juge. Il avait peur d'une confrontation avec l'accusé et moi”, écrit Hichem Aboud. Pis, Mohamed Samraoui est accablé. “S'il est innocent des crimes dont je l'accuse et s'il a un iota de dignité et s'il connaît un vague sens de l'honneur, qu'il me poursuive en justice pour dénonciation calomnieuse. Je lui permets de déposer sa plainte en Allemagne et je suis prêt à aller devant la justice allemande pour révéler au monde son véritable visage de tortionnaire”, le défie son contradicteur... Le dossier judiciaire est monté sur la base d'un document retrouvé par les enquêteurs en perquisitionnant au domicile de l'assassin présumé, Abdelmalek Amellou, arrêté et expulsé de France quelques semaines après les faits. Il s'agit de la copie d'un ordre de mission signé d'un capitaine Rachid Hassani. Le document ne prouve rien d'autre qu'un lien entre Amellou et les services de renseignements auxquels appartenait le capitaine en question. C'est là d'ailleurs un des autres points faibles de l'instruction de M. Thouvenot. Le capitaine Hassani ne peut pas être tenu pour le commanditaire du crime pour la simple raison qu'il a signé un ordre de mission. Il faut que les commanditaires soient fous pour mettre dans les poches d'un tueur à gages un document explicitant clairement la nature de sa mission. “Il est impossible qu'un officier subalterne de grade de capitaine puisse commanditer, exécuter et financer un assassinat en terre étrangère à l'insu des autorités politiques du pays”, observe à ce propos Hichem Aboud. Pour relancer le dossier, le juge d'instruction a donné du crédit au témoignage de Mohamed Samraoui qui soutint que Hassani serait Hasseni, et qu'il aurait remis au tueur présumé la somme de 800 000 FF en sa présence même. Cette présence que M. Samraoui a voulu utiliser comme argument pour donner du poids à son témoignage risque de révéler aussi, aux yeux du juge, comme le signe de sa complicité. D'où son absence. Au lieu de prouver la confusion d'identité, le juge a sommé le diplomate de la démentir. Même si c'est une atteinte à la philosophie du droit pénal en France, M. Hasseni a présenté les documents attestant de sa bonne foi : un livret de famille contenant sa filiation et délivré par l'administration coloniale, ses attestations de travail et décrets de nomination délivrés au fil de ses fonctions à la présidence de la République et au ministère des Affaires étrangères. À la demande du juge, il s'est plié aussi aux tests ADN et aux analyses graphologiques dont les résultats ne lui ont toujours pas été communiqués, plus d'un mois après les avoir réalisés. Pour hâter l'instruction, alors qu'il est retenu à Paris depuis plus de quatre mois, il a demandé par écrit au juge une confrontation avec son accusateur. Ce dernier s'est, par ailleurs, pris les pieds dans le tapis en identifiant M. Hasseni comme une personne qui n'est autre qu'un ambassadeur algérien en poste dans une capitale européenne... En janvier, le juge Thouvenot quittera le tribunal de Paris pour celui de Melun, en Seine-et-Marne. Le dossier échoira alors à sa remplaçante qui a assisté à l'audition de Hicham Aboud. Dans cette affaire, le parquet a toujours plaidé la relaxe de M. Hasseni qui fait figure d'otage, selon la diplomatie algérienne. A. O.