La wilaya de Ghardaïa s'apprête à accueillir le président Bouteflika pour une visite d'une journée consacrée essentiellement à la prise en charge des sinistrés des inondations d'octobre dernier. Une visite au parfum de la campagne électorale, d'autant plus que les comités de soutien sont déjà présents en force à Ghardaïa pour “chauffer” les foules. Trois mois après, le chef de l'Etat se déplace pour s'enquérir de l'état d'avancement du plan d'urgence décidé en faveur des sinistrés de la wilaya. Son gouvernement, à commencer par Ahmed Ouyahia, avait fait le déplacement au lendemain des inondations et une série de promesses avait été faite pour la prise en charge des sinistrés, notamment celle de loger tout le monde dans des chalets avant la fin de l'année en cours. Une promesse qui ne sera pas tenue, malgré tous les efforts et toutes les exagérations. Donc, Bouteflika aura juste à inaugurer des chalets “témoins”, bien en vue, mais derrière cette façade, c'est une toute autre histoire. Pour vérifier sur le terrain la prise en charge des sinistrés, nous avons fait le déplacement à El-Ghaba (l'oasis) de Boulila, qui a connu les pires inondations de son histoire. Dans cette oasis où les habitations disputent la place aux palmiers et aux rives de l'oued, l'eau avait atteint 12 mètres de hauteur lors des inondations. Sur place, les traces du drame restent intactes. “Regardez, on dirait qu'on a été bombardé par une bombe atomique”, nous lance un des sinistrés, en nous montrant les maisons détruites par la furie des eaux. Un autre sinistré nous montre les amas de sa maison. Il nous indique les poteaux qu'il venait juste de repeindre. Sa femme attendait un bébé. Elle accouchera par la suite, dans le centre de transit. “Je ne peux même pas récupérer mes objets personnels”, se lamente-t-il. Mais pour lui, comme pour bon nombre de rescapés, “il est hors de question que je reconstruise dans cet endroit. Même si on me donnait un milliard, je ne revivrais plus ici”. Un sentiment que ne partagent pas tous les habitants de la vallée du M'zab pour qui les oasis constituent une partie de leur vie. Propriétaires ou locataires, ils affirment que la crise du logement, le chômage et la pauvreté sont les causes de l'urbanisation sauvage de l'oasis. Pourtant, font-ils remarquer, la colline de Boulila, surplombant l'oasis, pourrait très bien servir à la construction d'une nouvelle ville, conformément aux traditions et à l'architecture de la région. Mais cela reste un vœu pieux pour le moment. Au centre de transit des sinistrés, situé dans une école coranique privée, 31 familles continuent à survivre dans des conditions lamentables. Au départ, il y avait 181 familles qui y habitaient. Mais, au fil des jours, beaucoup de familles ont préféré bénéficier de l'aide à la location (12 000 DA par mois), alors que d'autres ont été prises en charge par leurs proches. C'est que la vie dans ce centre est comparée par les locataires à “Guantanamo”. Un pensionnaire jure qu'il était “mieux traité en prison qu'ici”. Les termes paraissent forts, mais les complaintes des sinistrés ne laissent pas indifférents. “Nous sommes abandonnés. Nous recevons des kits d'alimentation vraiment pauvres. Nous ne disposons pas de chauffage et supportons très mal le froid sibérien, notamment la nuit”. Les sinistrés ont fait une grève de la faim de trois jours et ont été hospitalisés, pour attirer l'attention des responsables locaux. Mais rien n'est venu apaiser leurs souffrances. Même pas un geste à l'occasion de l'Aïd el-Adha où ils se sont partagé un mouton, à 31 familles, offert par un mécène. Les responsables locaux avaient, pourtant, demandé les tailles et les pointures des enfants. “Nous avons reçu des chewing-gums, en guise de cadeau, dans le kit alimentaire”. Leur déception est d'autant plus grande qu'ils ont vu à la télévision des enfants présentés comme des sinistrés de Ghardaïa, en excursion à Alger. “Aucun des enfants sinistrés n'a bénéficié d'excursion ou d'une prise en charge psychologique. Ce sont des enfants de nantis qu'on a montrés à la télévision.” Les sinistrés de Boulila ne savent plus à quel saint se vouer. Ils ont été convoqués, la semaine dernière, pour une éventuelle opération de relogement dans les chalets. Ils ont vite déchanté. “Nous n'avons aucune idée où et quand nous serons relogés”, affirment-ils. En plus, les chalets édifiés à une vingtaine de kilomètres du centre-ville ne constituent pas la solution idoine pour bon nombre de sinistrés. “Je préfère louer pour une année plutôt que d'aller dans un chalet qui a coûté 300 millions et qui ne dispose d'aucune commodité”, nous affirme un père famille qui jure qu'il a tout perdu, “je n'ai plus rien. Ni mobilier, ni cuisinière, ni literie. Pire encore, j'ai perdu mon emploi. Avec quoi je vais meubler ce chalet ?”. Les sinistrés s'en prennent aux agents du CTC qui auraient sous-estimé les risques, notamment dans l'oasis de Boulila, alors qu'ils ont surévalué ces risques dans d'autres régions, notamment au centre-ville de Ghardaïa. Preuves à l'appui, ils nous montrent des maisons tombées en ruine, classées orange 4, d'autres inutilisables ou inaccessibles, classées vert 1. Ils nous montrent surtout des maisons qui se sont effondrées, deux mois après les inondations. Construites, pour la plupart en toub, et une fois séchées, elles se sont effondrées comme un château de sable. Notre périple dans les dédales de l'oasis nous a permis de constater que toutes les constructions s'y trouvant devraient être démolies. Pour le moment, c'est la désolation qui s'y est installée, et pour longtemps. Mais c'est surtout la peur de voir leurs enfants surpris par des effondrements, inévitables, des maisons étant encore gorgées d'eau. Pour eux, le budget dégagé pour prendre en charge cette catastrophe naturelle n'a servi qu'à ravaler les façades. La visite du président Bouteflika ? Ils en ont entendu parler grâce à “radio trottoir”. Ils n'auront pas la chance de dire au président “nous avons faim. Nous mourons de froid”. A. B.