Au centre de procréation médicalement assistée (PMA), aménagé au 4e étage de la clinique El-Farabi, Abdelkader est une véritable célébrité. Son portrait, pris quelques heures à peine après sa naissance, le 27 septembre 2000, orne le mur du bureau du docteur Amari, médecin biologiste à la PMA. Il figure aussi dans le dossier guide que la clinique offre aux candidats à une fécondation in vitro comme une preuve que l'on brandit pour persuader que la technique donne bel et bien des résultats. D'autant qu'Abdelkader est le premier bébé né d'une Icsi (de l'expression en anglais Intra Cytoplasmic Sperm Injection), qui signifie fécondation en laboratoire par micro-injection. Quand on appelle les parents du garçon, qui résident à Souk-Ahras, c'est lui-même qui répond. Il est vrai que le nourrisson sur la photo est âgé, aujourd'hui, de 8 ans. Ses parents avaient attendu autant d'années pour penser à enfanter par le pouvoir de la biomédecine. “Mon mari a lu, dans un journal, un écrit sur la PMA, pratiquée à la clinique El-Farabi. Quelques mois après, nous nous sommes déplacés à Annaba pour faire l'opération. Je suis tombée enceinte au bout de la deuxième tentative”, raconte Mme K., qui a accepté de citer son nom dans notre article avant de se rétracter sur objection de son époux. Elle affirme que ni elle ni son conjoint n'ont nourri la velléité de cacher à leur entourage leur projet. “De toute manière, nos familles auraient su tôt ou tard. Les premiers temps, les gens nous posaient des questions, un peu étonnés, puis cela a été accepté.” En sa qualité d'enseignante, Mme K. a bénéficié d'une participation de 50% sur le coût de l'opération par la mutuelle du personnel de l'éducation nationale. “Les médicaments (prescrits durant le traitement hormonal, ndlr) sont remboursés à 100% par la Caisse de la sécurité sociale”, atteste notre interlocutrice. Les époux K. ont souhaité avoir un deuxième enfant de la même façon. “Ce n'était plus possible. C'est Dieu qui donne ou non des enfants”, conclut notre interlocutrice, fataliste. Aussitôt la communication avec le couple de Souk-Ahras achevée, le Dr Amari nous met en contact avec Hakim, un autre père heureux d'avoir vaincu la stérilité de son couple. “Les traitements médicaux n'ont pas donné de résultats. Nous avons contacté les médecins de la clinique qui ont confirmé l'indication de la FIV. Nous avons fait confiance à l'équipe.” Il a indiqué qu'une année auparavant, il avait mis à profit un voyage personnel en France pour se renseigner sur le sujet. “J'ai constaté que le taux de réussite est le même. J'ai préféré faire l'opération en Algérie.” Médecin lui-même ainsi que sa femme, ils n'ont pas hésité à recourir à la PMA. D'autant que, de l'aveu de Hakim, l'argent ne constituait point un écueil. “À la première tentative, notre enfant a été conçu. Nous avons eu un garçon en 2005.” Miracle de la nature, son frère est né deux ans et demi plus tard d'une grossesse spontanée. “Certaines formes de stérilité peuvent se résorber avec le temps. Des problèmes d'infertilité peuvent apparaître, a contrario, après une première naissance. C'est ce qu'on appelle la stérilité secondaire”, explique le Dr Nacereddine Aïssaoui, gynécologue obstétricien responsable de la PMA de la clinique El-Farabi. De l'an 2000, année de la venue au monde de Abdelkader, à août de l'an dernier, la clinique a enregistré 684 naissances, toutes techniques confondues. Selon des membres de l'équipe de PMA, le chiffre n'est pas exhaustif car “beaucoup de parents ne signalent pas l'aboutissement de la FIV” par l'avènement d'un heureux événement. Les premières réussites d'une technique précise marquent, toutefois, les mémoires. “La première naissance par embryon congelé a eu lieu à la clinique El-Farabi le 31 octobre 2005, d'une jumelle biologique à une fillette née le 4 mars 2004, suite à une fécondation in vitro effectuée dans notre centre”, corrige le Dr Amari, dans des propos allusifs à la venue au monde également par embryon congelé de Nour Imane, le 17 novembre dernier à l'hôpital de Kouba, qu'on avait présentée comme une première en Algérie. “Nous avons lancé très tôt les techniques nouvelles de procréation à la clinique El-Farabi. Dès 1995, nous avions beaucoup de candidats à la PMA qu'on envoyait en Tunisie ou en Jordanie, d'où l'idée de créer un centre à Alger. D'autant que le Dr Amari avait déjà pratiqué une FIV à Nice en 1984”, rapporte le Dr Aïssaoui. Il ajoute qu'au début des années 1990, l'équipe a réussi, à titre expérimental, à obtenir un ovocyte par ponction ovarienne. “Cela nous a encouragés. Nous avons envoyé une équipe à l'étranger pour formation.” Dès que les autorités publiques légalisent la pratique par la délivrance d'autorisation aux structures privées – à la fin des années 1990 — et le Haut conseil islamique lève le levier d'interdits de la religion, le CPMA de Annaba démarre. Le matériel est acquis au comptant ; l'équipe est fin prête pour mettre en application son savoir-faire. “Au départ, nous n'avions que des détracteurs. Nous avons commencé par vulgariser la PMA auprès des gynécologues”, indique notre interlocuteur. Actuellement, la structure procède à environ 600 ponctions par an. Le taux de réussite a progressé de 18% en 1999 à 30% de nos jours. “Nous parlons de taux de réussite. Inversons la tendance et nous aurons 70% de taux d'échec. Nous devons faire de la grande psychologie avec 7 patients sur 10”, souligne-t-il. Même scientifiquement, il n'est pas aisé de fournir, avec minutie, les causes de l'échec d'une FIV. “La PMA est un ensemble de détails. Si un seul détail est défaillant, la chaîne suit”, explique le Dr Amari. De son avis, l'échec est encore plus éprouvant à cause du coût excessif de la PMA. “Dans d'autres pays, l'échec n'est pas vécu comme un drame, car le couple ne paie rien. Ce n'est pas le cas des Algériens qui doivent s'endetter pour avoir un enfant”, précise-t-il. Il ajoute que les abandons sont quasiment systématiques dès la seconde tentative à cause de l'argent. Pourtant, il est avéré qu'après un maximum de 5 tentatives, le taux de réussite augmente de 50%. Cela exige, néanmoins, un investissement émotionnel et financier assez lourd. La contrainte de temps se pose aussi pour les femmes au bord de la quarantaine. L'âge limite des femmes, pouvant recourir à la PMA, est fixé à 43 ans. “Nous faisons le maximum pour celles qui se marient tardivement, pour ne pas gâcher leurs chances, même si elles sont minimes”, assure le Dr Aïssaoui, qui se dit touché par son expérience avec deux patientes assez particulières. “Une Algérienne, résidant au Canada, s'est adressée à nous pour une FIV. Je lui avais recommandé de ne rien faire, car elle était âgée de 41 ans et n'avait qu'un seul follicule. En résumé, elle avait moins de 5% de chances d'atteindre son objectif. Elle a insisté pour ne pas regretter, plus tard, de n'avoir rien tenté. Elle a obtenu une grossesse et un bébé au berceau en mai 2007.” Son expérience a émulé une de ses amies du même âge, qui a subi l'opération en août 2007 et accouché en juin 2008. Selon le Dr Amari, il est impératif de soumettre les spermatozoïdes prélevés à un examen cytogénétique afin de déceler d'éventuelles anomalies chromosomiques. Il précise qu'il est également important de réunir les conditions optimales pour réussir une PMA. “Notre matériel est en double, voire en triple, pour parer aux dysfonctionnements et aux pannes”, affirme-t-il en nous montrant trois incubateurs, deux microscopes… Il est recommandé, en outre, aux femmes qui tombent enceinte d'opter systématiquement pour un accouchement par césarienne. “Cette naissance est trop précieuse. Il vaut mieux ne prendre aucun risque de souffrance fœtale ou d'un accouchement mal passé en programmant une césarienne”, corrobore une sage-femme, exerçant depuis 15 ans à la clinique. L'on nous cite le cas d'une patiente, qui a perdu à l'accouchement son bébé fécondé in vitro. “Son mari voulait qu'elle accouche à l'hôpital par voie basse. Il y a eu des complications”, regrette-t-elle. S. H.