“C'est une hérésie !” tonne Mahfoud, l'œil noir et le verbe acerbe. À lui tout seul, il résume l'ambiance d'intolérance qui s'est abattue ces derniers jours sur la prochaine célébration du nouvel an. Il n'est plus un secret que le réveillon ne fait pas l'unanimité parmi les Algériens, mais la tendance actuelle est plutôt au rigorisme religieux qui tend à interdire toute manifestation contraire aux préceptes de l'Islam. À Oran, on est loin de l'ostentatoire des années précédentes et peu d'encarts publicitaires viennent fleurir les pages des journaux locaux. Le réveillon, cette année, tarde à trouver sa vitesse de croisière, malgré tous les ingrédients proposés pour une soirée réussie. Il est vrai qu'hôtels, restaurants et boîtes de nuit n'offrent pas de nouveauté par rapport aux années précédentes, ce qui a fait réagir nombre de gens qui estiment que fêter l'événement à Oran devient lassant en l'absence de spectacles originaux. “C'est chaque fois la même chose, on te sert un menu fade agrémenté de plats aux noms exotiques mais au goût de l'arnaque, des spectacles inintéressants à des prix prohibitifs”, dira Hichem, un habitué des réveillons oranais. Les tarifs, quant à eux, flirtent allègrement avec les 25, voire 30 mille dinars pour la soirée, comprenant diner gastronomique et animation DJ. Malgré le peu d'empressement affiché par les habituels clients, les hôtels ne risquent pas de vivre la “mésaventure” d'il y a deux ans. La fête de l'Aïd el-Kébir avait coïncidé avec celle du réveillon, et beaucoup d'établissements hôteliers avaient enregistré des pertes sèches de leur chiffre d'affaires. La ville, quant à elle, célèbre l'événement à travers les vitrines de ses pâtisseries où sont exposées les incontournables bûches de fin d'année. Les prix, pour l'occasion, ont également été revus à la hausse. Autre cliché du réveillon, les fameuses cartes de vœux, pour toutes les bourses et les goûts. Au-delà de l'aspect festif propre à cette date, la proximité de Moharem, le nouvel an musulman, a dissuadé une bonne frange de la population locale à investir dans le réveillon, et les avis sont tranchés sur cette question. “Il n'est pas question pour moi de fêter quoi que ce soit et certainement pas avec ce qui s'est passé à Gaza”, affirmera Majid, qui s'étonne toujours de voir les Algériens courir après une bûche ou se préparer au réveillon en famille. “Et pourquoi pas Noël pendant qu'ils y sont !” lâchera-t-il. Pour les plus modérés, l'idéal est le cocon familial. “Je vais le passer avec mes enfants, c'est beaucoup mieux et plus économique”, concédera Slimane qui avoue que même la soirée familiale lui reviendra à quelque 2 000 dinars. “Entre la bûche et un bon gueuleton, ça fait le compte”, ajoutera-t-il. Avec le temps et la morosité ambiante, de plus en plus d'Oranais se tournent vers l'Europe et plus particulièrement l'Espagne. De par sa proximité géographique et le fait qu'elle soit une destination presque familière des Algériens, Alicante ou encore Benidorm reçoivent d'année en année un contingent plus important de nationaux en quête de sensations plus fortes. “Chaque année, on passe le réveillon à l'hôtel Milia à Alicante”, dira Latifa, 17 ans. Quant aux autres, ceux qui ne fêtent pas le nouvel an, c'est une soirée pareille aux autres de l'année. “Je ne vais pas te mentir, mais je reste chez moi, devant la télé et je ne change rien à mes habitudes”, confessera Kader, 40 ans et une calvitie naissante. Comme lui, ils sont légion à ne pas s'intéresser à l'événement. Sans arrière-pensée religieuse, ni par amour des traditions, ils ne se sentent nullement concernés par la fête. D'autres, par contre, et par souci purement économique, préfèrent faire l'impasse cette année. “Entre la rentrée scolaire, le Ramadhan et les deux Aïds, ça fait quand même un peu beaucoup pour la poche d'un Algérien moyen”, dira Abdelatif. Quoi qu'il en soit, le réveillon restera pour Oran l'occasion de sortir, un soir, de sa léthargie et permettra aux Algériens de vivre au diapason du reste du monde. SAïD OUSSAD