C'est sur la route de Bethioua, à Mostaganem, à l'embouchure de l'oued Dahra, que nous pouvons distinguer une eau transparente. Le cap Ferrat et le cap Carbon, pratiquement inaccessibles en voiture, précèdent de leur sauvagerie le site du golfe industriel d'Arzew. L 'autre extrémité du golfe, Mazagran rappelle, par sa situation, qu'elle était un bastion avancé de la résistance contre l'avancée espagnole en 1559. Des équerres rocheuses descendent dans la mer et composent, avec les criques courbes, des paysages japonais. Au nord, s'étend une immense zone humide, sauvage et pittoresque. C'est le réservoir séculaire des marais de la Macta. Son humidité suinte à longs filets le long de toute une végétation opiniâtre d'arbousiers et de lentisques. Sur la piste que des “chauffards” ont taillée dans la terre meuble, des poids lourds qui foncent vers Mostaganem croisent ceux qui rentrent sur Oran. Aujourd'hui, l'industrie menace l'habitat naturel à une multitude d'espèces d'oiseaux d'eau, dont les magnifiques flamants roses. Un tableau idyllique menacé par les convoitises des industriels qui veulent mettre à mort cette région naturelle. Avec elle, ce sont des milliers d'oiseaux migrateurs et sédentaires qui risquent de disparaître. Hormis les rongeurs clandestins, les autres espèces d'oiseaux ont colonisé la Macta depuis plus de deux siècles. C'est une région de transhumance qui leur sert de lieu de reproduction. À perte de vue, juste à l'entrée de l'estuaire de Bethioua, voici la majestueuse outarde canepetière qui étale son beau plumage. Mais la vision est encore plus époustouflante : la poule sultane ou le butor étoilé sont là pour nous rappeler à l'ordre. Autrefois, des dizaines de bénévoles se partageaient la surveillance des marais humides de la Macta. Puis, révolution agraire oblige, le périmètre de la zone humide fut partagé en plusieurs lots. Chaque lot avait alors son président, son directeur, son secrétaire général et quelques vieux paysans encore riches de leurs expériences. Mais cette poignée de cultivateurs chevronnés, fins connaisseurs du modus vivendi de la Macta, était sans cesse brimée et mise à l'écart. Les bureaucrates ne s'intéressaient plus qu'aux rapines et aux vols d'oiseaux rares. “Au début des années 1970, il existait plusieurs centaines d'espèces d'oiseaux. Des gens venaient de partout, de l'Hexagone et même de la lointaine Amérique pour se concentrer sur des travaux scientifiques d'ornithologie. Les oiseaux se comptaient alors par centaines de milliers”, se souvient avec nostalgie un ornithologue et non moins défenseur des zones humides. En farouche protecteur de la Macta, notre interlocuteur incrimine ouvertement certains responsables : “Même le scandale de la BCIA n'a pas épargné notre commune, puisque l'agence foncière d'Arzew avait octroyé 80 hectares (projet de réalisation d'une usine d'huile), une zone humide dans la commune de Bethioua, protégée par les lois de l'environnement.” Pourtant, la sonnette d'alarme sur “l'industrialisation” de la Macta fut tirée au début des années 1980. L'avènement d'une nouvelle politique dite de préservation des sites naturels basée sur une gestion scientifique a eu certes l'avantage de mieux gérer la relation du citoyen avec la Macta, mais elle n'a pas pu répondre ou trancher les réelles préoccupations des spécialistes de la biodiversité et des ornithologues (algériens) qui brillent par leur absence. “Pour préserver la Macta, une étude doit être engagée afin de cerner au mieux les dangers qui guettent les oiseaux et la végétation endémique”, affirme un spécialiste, soulignant au passage les risques d'apparition d'une végétation dense et disparate. Selon lui, un aspect extrêmement important de la protection de la zone humide de la Macta est la préservation de la végétation et des oiseaux qui jouent un rôle majeur dans le cycle de l'oxygénation de cette région. En plus de l'écosystème qu'elle préserve de l'érosion, la zone humide de la Macta régénère l'air, retient les excédents d'eau puis les redistribue aux nappes phréatiques et aux cours d'eau. “C'est un rôle naturel de premier plan que joue cette région dans toute la biodiversité comprise entre les plantes et les oiseaux”, déclare un botaniste, fervent défenseur du site. Ce chercheur universitaire est intarissable sur le devenir de la Macta. Et s'il en parle avec inquiétude, c'est pour inciter les pouvoirs publics à prendre conscience. “Il faut faire très attention à ne pas industrialiser cette réserve qui oxygène toute la région.” Il n'a pas tort. Les torchères du complexe pétrochimique d'Arzew polluent à longueur d'année l'atmosphère et les poumons des riverains. Pourtant, l'intérêt de la conservation de la zone humide a bien été compris par le gouvernement, puisqu'une convention sur les zones humides a été signée le 2 février 1971 à Ramsar (Iran). Cependant, l'utilisation rationnelle du site est loin d'être garantie. En effet, au cours des quarante dernières années, plus de la moitié de la zone humide de la Macta a disparu par assèchement, destruction ou prise en culture, mettant en danger l'équilibre de nidification avifaune. Les forêts de tamaris, qui recouvraient plus de 1 500 hectares au siècle passé, ont presque disparu, seules subsistent des broussailles localisées principalement le long des oueds de la Macta. En l'absence d'un système de régulation de la zone humide, le monde industriel, submergé par ses propres déchets toxiques, en laisse partout. La Macta est lasse de recevoir toutes sortes de scories néfastes pour l'écologie qui paie à présent les “imperceptibles bourdes” de certains responsables. Que faire ? Eduquer et entreprendre, disent encore nos interlocuteurs. “L'évènement le plus important du XXIe siècle, c'est la disparition de la biodiversité. Nous sommes une autre humanité. Cette humanité n'a pas conscience du monde qui l'entoure. Il faut impérativement faire naître cette conscience, enseigner que le bricolage, c'est fini !” Au nord, la plaine de la Macta est une dépression triangulaire séparée du golfe d'Arzew par un cordon de dunes, bordée au nord-ouest par le massif de la sebkha d'Arzew. C'est toute une région jouissant d'une topographie à l'état naturel qui semble venir d'un autre âge. La destruction des bois des tamaris est en train d'entraîner la dévastation de certains milieux avifaunes. Il en va de même sur tout le littoral de la Macta où le couvert forestier de la partie dunaire de l'est est fortement dégradé. Quant à l'estuaire de Mers El Hadjadj, il subit la dégradation des émanations du gaz naturel, des plagistes en période estivale et de l'indiscipline des touristes. “La cigogne blanche, l'oie cendrée, la sarcelle marbrée et le canard siffleur trouvent ici un lieu naturel à leur reproduction. Mais dans peu de temps, tous ces beaux spécimens auront disparu du paysage de la Macta”, déplorent nos interlocuteurs K. REGUIEG-YSSAAD