Fidèles lecteurs de votre estimé journal, un groupe de magistrats, de différents grades, issus pour certains de la première promotion post-Indépendance (novembre 1962), donc retraités de l'ancien régime général pour ancienneté, espèrent pouvoir compter sur votre esprit de solidarité agissante – lorsqu'il s'agit de soutenir de bonnes causes, ainsi en leur ouvrant les colonnes de la rubrique “Espace des lecteurs” ou bien celle “Idées débats”, maintenant qu'ils ont épuisé les voies de recours classiques sans résultat, afin d'attirer l'attention des pouvoirs publics sur quelques objections à l'institution judiciaire, en rapport avec I'injustice flagrante dont ils sont victimes, eux les anciens juges, ô paradoxe ! Qui l'eût cru ? à propos de leurs pensions de retraite. Le problème est, effectivement, d'importance pour eux, de par l'incidence financière qu'il implique à leur détriment, en même temps qu'il soulève un contentieux juridique d'ordre général, portant, d'une part, sur la place et la portée d'un décret exécutif par rapport à la loi organique qu'il a charge d'appliquer, d'autre part, sur la nature de la sanction pour méconnaissance du principe juridique relatif à la non- rétroactivité de la loi, en l'absence de dérogation et, enfin, sur la nature de la sanction pour méconnaissance du principe juridique relatif aux droits acquis, parce que c'est précisément la méconnaissance délibérée, ou non, de ces notions de droit qui conduit l'administration à les priver de leurs légitimes intérêts de carrière. En effet, et à travers le nouveau statut de la magistrature, issu de la loi organique n° 05/11 du6 septembre 2004, l'Etat a, finalement, décidé de revaloriser la condition matérielle des magistrats, en leur assurant, désormais, en phase d'activité, une rémunération dite de qualité et adaptée à leurs fonctions, – selon les termes mêmes de l'article 27 de ladite loi – en vue, ajoute le texte “de sauvegarder leur indépendance”, et, en fin de carrière, un régime de retraite similaire à celui des cadres supérieurs de l'Etat, ils sont ainsi plus chanceux que ceux de la nouvelle génération ! Mais il était quand même grand temps, pensons-nous, d'opérer cet alignement entre serviteurs de l'Etat, ce qui n'est, somme toute, que justice, si l'on veut bien considérer que les magistrats ne sont pas moins méritants, intrinsèquement du moins, que les autres serviteurs de l'Etat qui, eux, sont mieux lotis, même pour des responsabilités, parfois moins stressantes, si n'entrent, hélas, en compte des considérations discrétionnaires qui échappent, évidemment, à l'analyse commune. Et, dans sa sagesse, l'Etat, toujours par l'organe du législateur (article 89, paragraphe 2 de la loi sus-visée) a fait bénéficier les quelques anciens magistrats survivants, rescapés par la grâce divine que nous sommes – des dispositions bienveillantes du nouveau statut de la magistrature, au plan retraite, avec cette restriction, cependant, que cette égalité de traitement avec nos jeunes collègues en exercice, sera sans effet pécuniaire rétroactif. Cette assimilation à nos jeunes collègues en activité, quant au régime de retraite, paraissait devoir s'imposer à raison, si l'on veut bien considérer que nous fûmes en vérité, dès le recouvrement de la souveraineté nationale, les pionniers de la jeune institution judiciaire à laquelle il fallait donner corps et vie, rapidement, pour relever le défi au départ du personnel français qu'il fallait remplacer presque au pied levé afin d'asseoir les fondements de notre Etat renaissant. Et, à cet égard, Dieu sait si nous nous sommes surpassés en nous acquittant de la mission avec courage et dévouement, animés, que nous fûmes alors de cette volonté farouche de réussir en cette délicate période post-Indépendance, tant elle était émaillée de soubresauts politiques graves pouvant ébranler les assises encore chancelantes de I'édifice étatique et menacer, par-là, la paix publique. Mais alors pourquoi cette demi-mesure à notre égard si l'Etat voulait vraiment manifester un minimum de reconnaissance envers nous, pour services exceptionnels rendus en une période si cruciale de notre histoire nationale ? Il aurait dû aller jusqu'au bout de la logique en nous faisant bénéficier pleinement des avantages du nouveau statut de la magistrature, au même titre que nos jeunes collègues en exercice, au lieu de procéder, ainsi, par une mesurette du fait qu'il assortit cette prétendue assimilation d'une réserve de taille, à savoir que cette égalité de traitement sera, néanmoins, appliquée sans effet rétroactif, fût-ce au bénéfice d'une minorité de vieillards en fin de vie. Or, encore une fois, hélas pour nous, car, bien pis encore, même cet avantage mitigé qui nous avait été accordé, s'est révélé, à l'épreuve des faits, pure théorie, c'est-à-dire un leurre, puisque, à la faveur du décret d'application qui a suivi la loi organique précitée en I'occurrence le décret exécutif n°05/2667/ du 25 juillet 2005, fixant les conditions et modalités du futur régime des retraites des magistrats — nous fûmes impitoyablement évincés du bénéfice du nouveau statut de la Magistrature, au prétexte, ô combien dérisoire selon nous que nous ne remplissons pas la condition nouvelle de 25 ans d'expérience professionnelle, dans la fonction de Magistrat, prévue à l'article 2 du décret, outre le fait que cette condition nous fut appliquée d'une manière stricte, c'est-à-dire sans tenir compte des situations particulières, même pour celui d'entre nous qui a totalisé, en quittant la fonction de magistrat – pourtant bien au-delà de l'âge requis et pour cause impérieuse de santé, sanctionnée d'ailleurs par une réforme administrative, une durée de 35 ans de bons et loyaux services, dont 24 ans et 6 mois dans la fonction de magistrat, poursuivie même au niveau de la Cour suprême. Un tel rigorisme vis-à-vis de nous, témoigne — on ne peut mieux — du peu de considération envers d'anciens magistrats qui, comparativement, méritent mieux que cette appréciation négative, systématique, même s'il faut, peut-être, concéder parmi nous quelques cas isolés de manquement à la discipline déontologique, comme cela peut arriver dans n'importe quel secteur de l'administration selon la hiérarchie constitutionnelle – un décret d'application, œuvre de l'instance exécutive, ne peut que s'inscrire fidèlement dans le cadre de la loi qu'il explicite au besoin, c'est-à-dire sans jamais pouvoir, juridiquement, contrevenir à la lettre ou à l'esprit de celle-ci à laquelle il demeure subordonné, sous peine d'attenter à l'intégrité de la loi en en restreignant la portée, par exemple. D'ailleurs, nous a-t-on assuré récemment, Monsieur le ministre de la Justice, sensibilisé au problème par d'autres infortunés collègues, aurait déjà saisi la chefferie du gouvernement d'un texte d'amendement afin de remédier à cette regrettable lacune, si gravement préjudiciable pour nous, pécuniairement, l'on s'en doute. Les années passant, l'on est toujours dans l'attente d'un hypothétique dénouement, comme si, et de fait, l'on attendait sans états d'âme, notre disparition un a un, pour résoudre le problème, ainsi par voie d'extinction des légitimes ayants droit, alors qu'il ne s'agit pas ici de quémander quelque secours philanthropique, par charité mais au contraire de créances cumulées, légitimement dues à l'encontre de l'Etat, après une si longue carrière professionnelle exemplaire – selon l'appréciation même de notre hiérarchie – et au soir d'un vie laborieuse et digne, aussi bien professionnellement qu'en tant que citoyens conscients et disciplinés. Il est vrai, cependant que nous sommes, maintenant hors service pour espérer mériter encore quelque considération auprès de la puissance publique, tant il est vrai que dans notre beau pays, c'est hélas, la fonction qui fait la personnalité des citoyens, et non l'inverse, encore qu'à notre décharge, nous ayons toujours répugné à toute forme de zèle, pour servir, au contraire, de façon loyale et digne, fût-ce, parfois, au détriment de nos intérêts de carrière. Dieu nous en est le témoin à ce propos ! Mais c'est là une question de conscience individuelle pour chacun de nous, tant il est vrai que pour nous tous, seules la compétence professionnelle et la droiture, c'est-à-dire la personnalité intrinsèque, peuvent assurer au magistrat indépendance et considération durablement, tout autre égard, à ce propos, ne peut être que conjoncturel, c'est-à-dire aléatoire, autrement dit sans lendemain. Or, la fonction de juge n'est pas un emploi ordinaire, routinier, où joue l'automatisme des gestes, pour pouvoir quantifier facilement le rendement de chacun ; c'est au contraire, un emploi technique qui use prématurément, c'est-à-dire avant l'âge, le titulaire consciencieux, sauf à faire de la figuration, pour pratiquer à pile ou face, afin d'étoffer des statistiques trompeuses, exiger donc une durée de 25 ans de service pour prétendre à la retraite paraît excessif, parce qu'une période de 20 ans au maximum suffirait largement, ne serait-ce que par besoin d'alignement avec les autres fonctions supérieures de l'Etat, mais par contre, il serait souhaitable de retarder l'âge du recrutement des magistrats jusqu'à l'âge de 40 ans, parce que la fonction spécifique du juge exige, en effet, une pleine maturité d'esprit, surtout en matière d'affaires familiales ( divorce, garde d'enfants) quelles que soient les qualités intellectuelles précoces du candidat. Par ailleurs, la fonction de magistrat requiert en outre, impérativement, un minimum de savoir juridique, testé à l'épreuve des dossiers de procédures, ainsi qu'une rigueur morale, sans faille afin de faire preuve de justice réelle et non pas une parodie, en s'efforçant de trancher les litiges sinon juridiquement du moins objectivement, d'abord et avant tout, par égard à Dieu, tant il est vrai que la justice est une exigence naturelle, c'est-à-dire d'essence divine, autrement dit sacrée que le Bon Dieu seul sait récompenser dans l'au-delà, ne dit-on pas à ce propos, en effet, que selon l'histoire religieuse, parmi trois juges, deux vont en enfer et le troisième en ballottage, au bénéfice du doute, comme en matière pénale (mais, c'est là encore une question de convictions religieuses), mais cependant, sans s'écarter de la loi républicaine censée répondre aux aspirations du citoyen à tous égards et qui, par conséquent, devrait être pour tous le repère obligé pour ne pas s'exposer à l'arbitraire de l'homme et de ses caprices. Pour en revenir à notre malheureux cas, la loi permet, certes, un recours contre l'arbitraire de l'administration et, d'ailleurs, d'infortunés collègues en ont tenté l'expérience en saisissant la justice mais sans résultat positif, paraît-il. Il ne nous reste plus qu'à nous en remettre à Dieu, le juge suprême, car nous savons, par expérience, quant à nous, pour avoir longtemps appartenu au secteur, que la justice, la vraie, n'existe pas en ce bas monde, sous toutes les latitudes, peut-être encore bien moins chez nous où les hommes dans bien des secteurs de l'administration ne sont, à vrai dire, que de purs produits du hasard, servis par les circonstances du moment à la faveur des vicissitudes de l'histoire. Pour le groupe, I'un d'entre eux et porte-parole : MOUHOUB MAKHLOUF