Il n'est pas simple de réformer un processus d'assurance sociale qui va bientôt boucler un demi-siècle d'existence, basé sur une logique administrative bureaucratique largement obsolète. Le tiers-payant fait ses preuves en Algérie. Malgré les couacs inévitables à l'instauration d'un système neuf reposant sur l'électronique, il semble que chez les assurés, il y aurait tout de même plus de satisfactions que de désagréments déjà. Ce n'est pas rien. Un immense progrès est ainsi en train d'être réalisé dans la politique de protection sociale nouvellement lancée par l'Etat algérien. Pas à pas. De fait, des assurés sociaux malades chroniques (diabétiques, cardiaques, etc.) n'ont plus de souci à s'acquitter de sommes faramineuses pour s'acheter des médicaments très coûteux. Comme un retraité payé au SNMG n'a plus à se débrouiller de l'argent afin de payer l'avance de ses frais de pharmacie pour tout médicament prescrit et remboursable. Et au plus tard fin 2011, la carte à puce baptisée Chifa sera obligatoire pour l'ensemble des assurés sociaux d'Algérie, et exigée pour toutes les prestations, depuis la simple consultation médicale jusqu'au pharmacien, ainsi que dans tous les établissements de soins. C'est là un impératif dicté par une réforme qui est suivie de très près au plus haut niveau de l'Etat, rapporte-t-on, et menée en tout cas à grand rythme par les services concernés du ministère du Travail, de l'Emploi et de la Sécurité sociale. Le chemin est un peu long et surtout ardu. Il n'est pas facile de se débarrasser d'une machine très lourdement bureaucratisée qui a suffi à faire subir à des centaines de milliers d'assurés sociaux l'incroyable calvaire de chaînes interminables pour récupérer leur argent, durant des décennies. Pas moins d'une vingtaine d'années après la loi n°83.11 du 2 juillet 1983 relative aux assurances sociales, qui le prévoyait expressément, il apparaît que l'on se soit enfin rendu compte que le système du tiers payant, en vigueur dans nombre de pays développés, était devenu indispensable, voire inévitable. La carte Chifa concernera donc à la fin quelque 28 millions de personnes (assurés et ayants droit), soit environ 87% de la population. Pour la première étape du remboursement des médicaments – un peu le talon d'Achille de la Sécurité sociale –, Annaba, Boumerdès, Médéa, Oum El-Bouaghi et Tlemcen ont été les premières wilayas-pilotes à expérimenter la carte à puce Chifa en 2007, puis en 2008 d'autres régions ont suivi, jusqu'à atteindre à l'heure actuelle 16 wilayas en tout, c'est-à-dire le tiers du pays. Un modèle meilleur que l'anglo-saxon Pour les responsables de la réforme, d'abord, il fallait mettre de l'ordre dans la maison. D'une part, une gestion catastrophique tirait tranquillement profit de ces mécanismes archaïques de remboursement des frais médicaux ou de prise en charge ou encore d'indemnisations, pour réorienter des sommes colossales provenant des cotisations des travailleurs et de leurs employeurs vers des secteurs qui ne concernaient pas forcément les assurés sociaux. La chute brutale des prix du pétrole a entraîné en 1986, on se souvient, la quasi-faillite du pays, et les services financiers de l'Etat, le Trésor en premier, puisaient eux aussi les ressources là où ils pouvaient, entre autres dans tout un embrouillamini de procédures inventées comme pour allonger indéfiniment la durée des remboursements ou des autres prestations aux assurés sociaux. D'autre part, la quasi-gratuité des soins pour tous, présentement, dans les établissements hospitaliers publics, ne permet pas de faire le distinguo entre les assurés sociaux et leurs ayants droit en général, les démunis dûment listés et autres cas sociaux, et tout le reste de la population qui associe aussi bien les travailleurs au noir, les gens fortunés, etc. Il est attendu de la contractualisation avec les hôpitaux publics qu'elle clarifie pour le moins cette situation, sinon qu'elle donne plus de visibilité à la rationalisation des dépenses publiques de soins pour l'avenir. La Sécurité sociale en Algérie fait donc sa mue et assainit sa gestion du passé, arrivée à la limite de l'irrationnel, pour aller vers un certain équilibre. Depuis quelques années, les assurés sociaux connaissent cette nouvelle démarche qui tend de plus en plus à se démarquer nettement de l'archaïque remboursement des frais médicaux au guichet, remplacé peu à peu par ce que l'on appelle le tiers payant, qui est la facilité donnée au malade d'être exonéré de l'avance de la partie des dépenses de santé qui est finalement prise en charge par le régime obligatoire de la Sécurité sociale. Concrètement cela signifie qu'un bon nombre d'assurés sociaux en Algérie, les retraités principalement, sont déjà pris en charge à 100% et n'ont rien à régler chez les praticiens acceptant ce mode de fonctionnement, ce qui est le cas, pour l'instant, de la majorité des pharmaciens. Cette dispense résulte évidemment de conventions signées entre les organismes de Sécurité sociale et les pharmaciens, en application de la loi du 2 juillet 1983. Les pharmaciens eux-mêmes semblent y trouver leur compte. Leurs représentants du Syndicat national algérien des pharmaciens d'officine (Snapo) – le président et le vice-président, avec lesquels nous nous sommes entretenus – ne tarissent pas d'éloges sur le système algérien du tiers payant, qu'ils considèrent en outre, ni plus ni moins, qu'un “modèle nettement meilleur que l'anglo-saxon”. Les établissements hospitaliers en 2009 Après les pharmaciens, tous les prestataires de soins, médecins, chirurgiens-dentistes et établissements hospitaliers publics ou privés seront progressivement conventionnés dans le cadre de la contractualisation, afin de permettre le bon déroulement de cette opération. D'ores et déjà, la wilaya de Annaba a été retenue pour constituer la wilaya-pilote en matière de conventionnement avec les médecins. La phase préparatoire et de sensibilisation est terminée dans cette wilaya, et les services chargés de l'opération ont recueilli 90% des adhésions des médecins de la wilaya de Annaba au système de la carte à puce, selon les estimations du ministère du Travail, de l'Emploi et de la Sécurité sociale. L'autre étape du conventionnement avec les établissements hospitaliers est en cours. Des dispositions ont été prises pour qu'elle soit rapidement mise en place. Elle devrait intervenir au plus tard à la fin de l'année 2009, suite aux instructions données récemment par le président de la République, Abdelaziz Bouteflika. La contractualisation avec les hôpitaux et autres centres de soins est l'une des dominantes du tiers payant, illustrée par la carte Chifa. Elle permettra aux assurés de ne payer qu'une partie des frais médicaux dans les hôpitaux, l'autre partie étant couverte par la Caisse de sécurité sociale, selon une nomenclature définie des soins. Plus exactement, le patient règle à l'établissement ce qu'on peut appeler le ticket modérateur, nom donné sous d'autres cieux à la partie du coût des frais d'hospitalisation ou de maladie qui reste à sa charge. Puis il signe une facture pour la partie du coût qu'il n'a pas réglée et l'établissement se fait payer de cette somme par l'organisme social qui assure la couverture du risque. Selon les cas (retraités, mutualistes, démunis, etc.) la participation du patient peut être couverte bien sûr par la souscription auprès d'un organisme mutualiste ou par la Caisse de Sécurité sociale elle-même. Comme un effet de vases communicants, il est patent que la nécessaire bonne prise en charge de tous les citoyens au niveau des structures de santé est tributaire du bon fonctionnement du tiers payant, et inversement. Déjà, cette contractualisation annoncée par la réforme va entraîner nécessairement un contrôle sévère de la prise en charge de toutes les entrées dans les établissements sanitaires publics et privés avant remboursement des frais par les organismes d'assurance sociale. Au demeurant, la situation n'est pas aussi nette lorsque l'on se penche sur le système de soins en Algérie, premier corollaire sans lequel la Sécurité sociale n'existerait peut-être pas. Et si l'on veut que le tiers payant repose effectivement sur une nouvelle politique de rationalisation des dépenses et d'augmentation des recouvrements, il faudra sans doute s'attaquer, en parallèle, au système de soins en général qui vit au rythme d'une dégradation effarante en Algérie. Les hôpitaux et les centres de soins publics, en premier lieu. Z. F.