La décision de la nouvelle Administration américaine de fermer le centre de détention de Guantanamo est chargée d'une symbolique si forte qu'elle éclipse quasiment celle qui concerne les autres prisons secrètes de la CIA. Communément appelées “sites noirs”, ces prisons sont en réalité des centres de torture destinés à extorquer des renseignements à des détenus soupçonnés d'implication ou de collusion avec le terrorisme islamiste. L'Administration de George W. Bush a reconnu en 2006 l'existence de ces “trous noirs” disséminés à travers le monde et créés par la CIA pour contourner les limites légales qu'impose le dispositif juridique américain. Outre ces prisons, qu'accueillent des pays peu regardants en matière de droits de l'Homme et qui ne rechignent pas à jouer le rôle de supplétifs dans la mise en œuvre de la lutte antiterroriste dans sa version “bushienne”, l'agence de renseignement américaine utilisait également des navires comme lieux de détention illégale et de torture. En Europe, deux pays seulement sont fortement soupçonnés d'abriter ce type de prisons : la Roumanie et la Pologne. Par contre, la complicité d'une quinzaine d'autres est établie, dans la mesure où ils ont autorisé le survol de leur territoire ou des escales d'avions affrétés par la CIA pour le transfert aérien de prisonniers par des vols clandestins. Parmi ces pays, les plus cités sont le Royaume-Uni, l'Italie, l'Allemagne et la Bosnie. Cependant, il faut en convenir, la palme dans ce triste partenariat revient à des pays arabes et musulmans qui sont les plus nombreux à abriter ces centres secrets où des agents de la CIA mettent en pratique des méthodes d'interrogatoires qu'ils ne peuvent s'autoriser sur le sol américain. Le recoupement de nombreuses sources désigne avec une quasi-certitude une douzaine de pays arabes et musulmans dans ce cas. Le Maroc, l'Egypte, la Jordanie, la Syrie, l'Irak, le Qatar, l'Arabie Saoudite, le Yémen, le Pakistan, l'Afghanistan et l'Ouzbékistan sont régulièrement cités dans ce dossier comme abritant ou ayant abrité ces sites. Le mode opératoire est invariablement le même. Le suspect est arrêté, c'est-à-dire enlevé, puisque les modalités de l'arrestation ne s'encombrent pas de considérations légales, puis transféré secrètement dans l'un des centres de détention en question. Il est alors confié aux services secrets du pays d'accueil, spécialisés dans les interrogatoires musclés. Des agents américains assistent généralement aux séances de torture et contribuent, pour ainsi dire, à l'orientation des débats. L'enlèvement en Italie d'un imam égyptien et son transfert au Caire, où il a été soumis à la question pendant de longs mois, est un cas d'école. L'affaire a soulevé un tollé médiatique et la justice italienne s'en est saisie, malgré les résistances du gouvernement de Berlusconi. Des auteurs et des complices de l'enlèvement ont été condamnés. Il est un constat frappant dans cette grave affaire. En Europe, ce sont deux pays issus du bloc de l'Est, trop récemment et peut-être trop superficiellement convertis au modèle démocratique, qui se sont ainsi impliqués dans la dérive sécuritaire des néo-conservateurs américains. Dans le reste du monde, ce sont principalement des dirigeants arabes et musulmans qui ont accepté de seconder leurs barbouzes. Dans un cas comme dans l'autre, la démocratie est au cœur de la problématique. Car il est bien connu que les régimes arabes et musulmans tiennent davantage des vieilles tyrannies que des démocraties modernes. M. A. Boumendil