Effrayés par la crise, inquiets pour leur emploi, les salariés français sont appelés demain à une journée de grève qui devrait être massivement suivie, selon les syndicats qui annoncent le mouvement le plus important depuis l'arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy en mai 2007. Une dizaine d'appels à la grève dans les secteurs public et privé, des manifestations dans les grandes villes : rarement unis, les syndicats se sont, cette fois, retrouvés pour sonner la mobilisation en faveur de l'emploi, des salaires et des services publics, et refuser que les salariés soient “les premières victimes de la crise”. Un mot d'ordre qui a fait mouche dans un contexte économique et social délicat pour le président Nicolas Sarkozy, marqué par la crise mondiale et ses conséquences : suppressions d'emplois et fermetures d'usines. Alors que la journée s'annonce difficile, avec des transports publics très perturbés, voire paralysés, environ trois quarts des Français soutiennent ou “ont de la sympathie” pour un mouvement jugé “justifié”, selon deux sondages différents parus dimanche. Bernard Thibault, le secrétaire général de la CGT, première organisation syndicale en France, a promis une “mobilisation impressionnante, bien au-delà sans doute de ce que l'on a vécu ces dernières années”. “Les salariés ont le sentiment de payer par leur emploi, leurs salaires, leurs droits sociaux, une crise dont ils ne sont aucunement responsables”, a souligné de son côté François Chérèque, dirigeant de l'autre grand syndicat, la CFDT. De fait, la crise et la mise au grand jour des excès du capitalisme semblent avoir catalysé tous les mécontentements latents dans un pays d'Europe qui est, selon le sociologue Michel Wievorka, l'un des plus inquiets face à la mondialisation. “Il y a un climat d'énervement, d'inquiétude et d'injustice”, notamment parce que “le gouvernement, qui n'avait plus un centime il y a un an, a trouvé les milliards nécessaires pour sauver le système bancaire”. Après l'éclatement de la crise bancaire, en septembre, le chef de l'Etat a annoncé un plan de secours de 360 milliards d'euros en apports de fonds et en garanties pour les banques, dont 21 à ce jour ont été débloqués. “Le mécontentement se fédère dans tous les domaines de la vie publique : justice, éducation, enseignement, recherche”, reprend M. Wievorka, rappelant que ces secteurs ont tous fait récemment l'objet de réformes ou d'annonces de réformes profondes, prévoyant souvent des suppressions d'emplois. Signe que le mécontentement dépasse le cadre syndical, des psychiatres, chercheurs ou travailleurs sociaux ont lancé, la semaine dernière, un appel “contre les conséquences sociales désastreuses des réformes” lancées par M. Sarkozy et mis en garde contre “une souffrance sociale qui ne cesse de s'accroître”. Pour le consultant d'entreprises Henri Vacquin, c'est un “sentiment de colère rentrée” depuis des décennies qui devrait s'exprimer jeudi. “La France est un pays qu'on dit incapable d'être réformé, pourtant les changements sont colossaux depuis 30 ans, mais ces changements se sont faits au forceps”, estime-t-il. Face à une opposition politique peu audible depuis des mois, et en dépit de revendications très générales, les syndicats vont offrir “un vecteur à l'expression de cette frustration, et la journée de jeudi sera l'occasion de catalyser cette colère”, souligne-t-il. R. I. /Agences