L'état d'urgence a été instauré le 9 février 1992 par décret présidentiel. Mohamed Boudiaf, qui dirigeait le Haut comité d'Etat (HCE), créé après la victoire des islamistes au premier tour des élections législatives (26 décembre 1991) et le départ forcé de Chadli Bendjedid (11 janvier 1992), le considérait comme un moyen de “mise hors d'état de nuire des fauteurs de troubles, la préservation des libertés fondamentales, sans porter atteinte aux droits de l'immense majorité des Algériens.” Le HCE, dans lequel siégeait notamment Khaled Nezzar, général et influent représentant de l'institution militaire, voulait juguler les débordements dangereux des militants du FIS et éviter au pays le chaos. Dans cette optique, le parti islamiste a été dissous moins d'un mois plus tard (4 mars 1992). La justice estimait, à juste titre, qu'il “était à l'origine d'une vague d'agitation qui, par des moyens subversifs, mettait en péril l'ordre public et les institutions de l'Etat”. Les opérations terroristes n'ont pas tardé à s'enclencher et à se suivre, jusqu'à ce jour. L'état d'urgence, institué (par le décret 92-44 du 9 février 1992) pour une durée d'une année, a été prorogé le 7 février 1993 par le HCE pour un temps indéterminé. Le texte initial comprend douze articles. L'article 6 autorise le ministre de l'Intérieur et les walis à “restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules dans des endroits et à des moments précis”, “à mettre en résidence surveillée toute personne majeure dont les activités s'avèrent nuisibles (…)” et “à opérer exceptionnellement des perquisitions de jour comme de nuit.” L'article 9 rend possible le recours “à l'autorité militaire (pour) la direction des opérations de rétablissement de l'ordre au niveau local ou au niveau de certaines circonscriptions territoriales.” Ce décret a été accompagné, rapidement, de mesures qui, aujourd'hui encore, sont loin de faire l'unanimité. Le cas des internements dans les camps du Sud en est un exemple. Le ministre de l'Intérieur étant habilité à “ordonner l'internement de toute personne dont l'activité s'avère dangereuse pour l'ordre et la sécurité publics et le fonctionnement des services publics dans un centre de sûreté établi dans un lieu précis”, des milliers d'Algériens ont été conduits dans ces camps sans avoir été reconnus coupables de quelque délit que ce soit. Mais l'état d'urgence a surtout constitué, pour les autorités, l'alibi pour étouffer les libertés et écraser les tenants de la démocratie. Le ministre de l'Intérieur de l'époque, le défunt Mohamed Hardi, avait reproché aux partisans de la levée de cet état d'urgence de vouloir “priver l'Etat des outils lui permettant de lutter contre le terrorisme et la subversion”. “Les libertés d'expression, d'opinion et d'activité politique sont préservées. Seuls les manifestations et les meetings sur la voie publique ne sont pas autorisés pour des raisons de sécurité”, avait-il ajouté. Il y a quelques semaines, la ministre de la Communication et de la Culture, Khalida Toumi, alors porte-parole du gouvernement, déclarait : “La levée de l'état d'urgence n'est pas à l'ordre du jour ; la question sécuritaire ne le permet pas.” Dans son rapport complémentaire sur les événements de Kabylie, Mohand Issad, chargé par le chef de l'Etat de faire un tant soit peu la lumière sur le déclenchement et le déroulement de ces événements, a souligné un “glissement juridique de l'état d'urgence vers l'état de siège”. L'Etat ne semble pas s'embarrasser de ses contradictions. Abdesselam Ali Rachedi, candidat à l'élection présidentielle de 2004, n'a sans doute pas tort de relever, hier, à la réunion de la LADDH, que la levée de l'état d'urgence revêt désormais un cachet “purement symbolique ; un arsenal de lois scélérates, une sorte de roue de secours au décret du 9 février 1992, a déjà été institué”. L. B.