Berriane renoue avec le calme après une dizaine de jours de troubles qui ont, une fois encore, mis entre parenthèses le devenir de la région. Après treize mois de tensions et de heurts sporadiques, est-ce l'expression d'un calme précaire ou d'une réelle paix durable ? Berriane (Ghardaïa) : De notre envoyée spéciale L'avenir nous le dira, mais en tout cas le vœu d'apprivoiser la paix est émis par les habitants de cette petite localité qui renferme des maux dont souffre l'Algérie entière. On cherche à donner un nom au mal de Berriane, en invoquant tantôt les conflits tribaux, tantôt religieux, et même parfois la luttes des classes, mais la réalité demeure celle d'un terrain social assoiffé de mesures concrètes en vue de sortir cette localité de l'oubli. Berriane pose, à elle seule, le degré d'incompréhension par les pouvoirs publics de la souffrance d'une société, de leur incapacité à comprendre où réside le mal pour procurer le remède nécessaire. L'absence de l'Etat est telle, que les populations ont trouvé matière à s'entredéchirer et adopter la violence comme voix de communication entre voisins. Berriane retrouve son calme en espérant retrouver ses esprits et son visage de ville paisible. Les centaines de camions de CRS et centaines d'autres camions de la Gendarmerie nationale, disposés sur les deux côtés de la route nationale, sont là pour montrer un visage bien triste de Berriane. Celui d'une ville où des voisins « découvrent » après plus d'un siècle de cohabitation leurs différences, jusqu'à en oublier les points de convergence, et se trouvent aujourd'hui séparés tels des étrangers par une route nationale. Une route qui au lieu d'être une veine nourricière pour les deux corps sociologiques composant les habitants de Berriane, à savoir Mozabite et Arabe, elle prend plutôt l'allure d'un mur psychologique de séparation, scindant à la fois la ville et les deux communautés en deux parties distinctes. La séparation est telle, que même les forces de sécurité diffèrent d'une partie à une autre. Les gendarmes pour surveiller les Arabes et les policiers pour les Mozabites. C'est pour éviter d'autres confrontations entre Arabes et policiers, nous dit-on, puisque les événements de la dernière semaine ont d'abord eu lieu entre malékites et policiers. Le chef de sûreté de daïra fraîchement installé aurait été muté suite à ces événements. Berriane a repris vie hier après la rencontre ayant regroupé le ministre délégué chargé des Collectivités locales avec les représentants des deux communautés mozabite et arabe. Les commerces restés fermés parmi ceux qui ont échappé au saccage, ont rouvert dans l'espoir que le calme soit pérenne. L'agence d'Air Algérie, qui semble avoir été une cible privilégiée des actes de violence, est soumise à une opération nettoyage guidée par le cadre commercial himself : « Vous voyez, de cadre commercial je deviens un ‘'homme'' de ménage, j'essaye de redonner image à cette agence qui n'a pas été épargnée, alors qu'il s'agit d'un bien de l'Etat », nous dit-il. A noter que les actes de vandalisme n'ont pas touché uniquement les biens privés mais aussi les biens publics, notamment la station d'essence de Naftal. Il est d'ailleurs fort heureux que le saccage de la station n'ait pas été accompagné d'actes de pyromanie. Le gérant d'un petit restaurant nous confie : « Trop, c'est trop, il faut que ça cesse. Chaque jour que Dieu fait, nous guettons le moindre mouvement de panique pour vite fermer et sauver ce qu'il y a à sauver. Nous avons beaucoup perdu. » Un autre restaurateur souligne : « Regardez, les clients mangent rapidement et fuient avant que ça ne se gâte. Et c'est tous les jours le même scénario. » Il précise qu'il fait partie de la communauté arabe. « Pourquoi avoir attendu 13 mois pour réagir ? » Interrogé sur les raisons d'une telle situation, il explique d'abord que la région a été épargnée par le terrorisme. « C'était la Suisse ici, je travaillais 24h sur 24 n'ayant peur de rien, et voila qu'aujourd'hui Berriane change de visage. A mon avis, il s'agit d'une réaction à la hogra. Je ne dis pas que les Arabes ont raison de le faire, ce n'est pas la meilleure manière de réagir, mais il s'agit d'une réaction à trop de hogra que subissent les Arabes », dit-il. Un autre commerçant arabe, à l'entrée du quartier mozabite, souligne à son tour qu'« il y a de la manipulation dont les tenants et les aboutissants dépassent les habitants de Berriane ». Et d'ajouter : « Je suis dans la zone tampon, je suis donc ciblé. » « Pourquoi avoir attendu plus d'une année pour qu'on réagisse et on décide d'envoyer une commission d'enquête et rétablir l'ordre ? Pourquoi avoir laissé le pourrissement, il aurait fallu le faire dès que la première flamme a pris, on ne soigne pas une grippe après une année », indique notre interlocuteur, pharmacien de son état. La même interrogation est exprimée du côté mozabite. « Il y a eu relâchement sécuritaire, à tel point que les policiers sont venus se réfugier chez nous », nous dit un représentant de la communauté. « Berriane est un petit échantillon de ce qui se passe ailleurs dans le pays. Nous avons 34 000 habitants et l'Algérie en compte 34 millions, c'est vous dire que Berriane est le un millième de ce pays. Et le pays perdrai à ce que ce qui passe ici fasse tache d'huile », précise-t-il en appelant de ses vœux à ce que la fermeté de l'Etat s'affirme réellement sur le terrain et que les promesses de rétablir l'ordre, d'indemniser les victimes, de punir les responsables soient tenues. « Je ne blâme pas les jeunes mais ceux qui les manipulent, il faut les démasquer et les punir », souligne à son tour un jeune Mozabite qui dit avoir vraiment mal au cœur que de devoir affronter un voisin avec qui il a grandi et partager de bons moments. « Je ne comprends toujours pas comment les choses ont encore dégénéré. nous vivions ensemble, nous étions soudés, moi-même j'ai beaucoup d'amis arabes. J'ai espoir de renouer avec eux, mais il faut que la vérité transparaisse et que les responsables soient punis. C'est la seule manière de faire pour que la paix revienne et qu'on finisse par recréer les liens que nous avions », dit-il. Berriane exprime par ses deux voix, un seul vœu, celui de renouer avec la paix mais surtout de démasquer les fauteurs de troubles qui n'ont de cesse de titiller la sensibilité d'une jeunesse en mal de reconnaissance et demanderesse de postes de travail. Les effluves gazières émanant de la base de Hassi R'mel, à peine lointaine de 20 km à vol d'oiseau, ont fini par polluer la quiétude de Berriane et rappeler à ses habitants sa réalité sociale jetant sa jeunesse, rongée par le chômage, dans les bras d'une oisiveté mère de tous les vices et extrémismes.