Parler du vieux bâti à Oran, est-ce parler encore du riche patrimoine culturel et immobilier de cette ville, mais qui s'effrite depuis plus de trente ans ? Est-ce parler des différentes opérations et expériences de rénovation, réhabilitation, revitalisation urbaine, des concepts à la frontière de l'urbanisme et de la sociologie très en vogue depuis quelque temps à Oran ? Parler du vieux bâti n'est pas qu'une affaire de pierres, de technicité, mais revient plutôt à évoquer des histoires d'hommes, de femmes, de drames terribles qui se sont achevés dans la douleur. Et pour cause. En 2003, un effondrement, bilan 5 morts. 2004, même cause, 2 morts. 2007, encore 4 morts. 2008, jusqu'ici 3 décès déjà à déplorer, et la saison hivernale n'est pas encore finie… Macabre décompte et qui n'est, malheureusement, pas exhaustif. Chaque année, les services de la Protection civile de la ville d'Oran enregistrent entre 100 et 200 effondrements partiel ou total d'immeubles décrépits et de bâtisses centenaires. Les aléas climatiques et les grondements cycliques des plaques tectoniques sont autant de facteurs aggravants. Dès l'hiver et les précipitations, c'est l'état d'alerte dans des centaines de foyers oranais. Aujourd'hui, l'état des lieux à Oran est des plus déplorables, le choix politique de se concentrer sur la réalisation de nouveaux logements, durant plusieurs décennies, en abandonnant de fait le patrimoine ancien a rattrapé les responsables locaux et les pouvoirs publics. En 2007, les différents organismes relevant de la wilaya avaient recensé plus de 2 200 habitations menaçant ruine, l'OPGI, pour sa part, ayant identifié 1 990 immeubles à hauts risques. Ces données qui évoluent presque de mois en mois concernent plus de 13 000 familles qui vivent dans un danger permanent plaçant véritablement leur vie en sursis. Pratiquement tous les quartiers anciens de la ville, Derb, Saint-Pierre, Saint-Eugène, Sid El-Houari, El-Hamri, Plateaux, Bel Air, sont concernés montrant l'ampleur de la catastrophe. D'ailleurs, une virée dans ces quartiers nous fait découvrir des familles vivant sous des tentes et des abris de fortune au pied de leurs habitations à moitié effondrées, avec parfois une façade extérieure normale mais à l'intérieur des escaliers à moitié effondrés, dans les appartements les structures des plafonds sont visibles à l'œil nu, rongées par les infiltrations d'eau. Des parents, qui ont parfois un emploi légal, vivent ainsi depuis des mois, voire même des années, dormant, se lavant et mangeant sur le bitume protégés juste par une bâche, une tôle. Ces scènes choquantes se passent juste derrière le front de mer, derrière les grands boulevards qui cachent le vrai Oran qui se meurt chaque jour un peu plus. Pour son malheur ou son bonheur, c'est selon, Oran doit abriter en 2010 un évènement de taille, la 16e Conférence internationale du GNL. Depuis, les pouvoirs publics sont prêts à débloquer des fonds très importants pour la rénovation de certaines artères et pour accorder l'inscription du programme de logements complémentaire, soit 6 000 unités. Ils seront destinés prioritairement aux familles évacuées des habitations classées risque 1er degré. Ainsi d'ores et déjà cette année, 101 immeubles, dont 61 sont des biens privés, ont effectivement été évacués permettant de reloger 815 familles. Un programme urgent, pour la conférence de 2010 il ne faut pas s'y tromper, a permis de retenir 200 immeubles à rénover pour un montant de plus de 70 milliards de centimes. La majorité de ces immeubles se trouvent, en effet, sur les principaux boulevards du centre-ville d'Oran. Il est clair qu'il s'agit en fait non pas d'un traitement en profondeur de la problématique du vieux bâti mais d'un lifting et d'un ravalement savamment prévus dans le “tracé touristique” des futurs hôtes du 16e GNL. Plusieurs bureaux d'études et le CTC sont sur le terrain. Ils devraient remettre leurs conclusions et rapports d'expertise à la fin de l'année. Les interventions toucheront prioritairement les façades extérieures et les parties communes. L'expérience de l'OPGI Ce sont les services de l'OPGI qui ont été chargés du suivi de cette opération, car étant quasiment le seul organisme à Oran ayant emmagasiné une réelle expérience en matière de réhabilitation du vieux bâti, comme nous l'explique Mlle Saïdi qui suit ce dossier. “Le vieux bâti est très particulier, car les pathologies apparaissent au fur et à mesure que l'on intervient sur un bâtiment. Par le passé, lorsque nous avons identifié 1 990 immeubles présentant un grand danger, nous avons réhabilité sur nos fonds propres 23 de ces immeubles. Notre personnel a acquis un savoir-faire et certains de ces immeubles ont permis d'abriter des services, des administrations, notre direction comme à Sid El- Houari, d'autres ont été vendus… Cela a permis de faire revivre le quartier.” Et de poursuivre : “Pour réhabiliter le vieux bâti il faut une démarche scientifique et multidimensionnelle.” Quant au diagnostic du vieux bâti, notre interlocutrice explique les causes les plus communes de la dégradation : “Certes, ce patrimoine ancien avait été délaissé mais il y a surtout le facteur humain qui a aggravé la situation. Les interventions et transformations qui sont menées par les habitants de façon anarchique ont accentué la dégradation. Il y a aussi la pose des paraboles, des citernes d'eau, des pièces supplémentaires construites sur les terrasses… Tout cela est une surcharge pour les fondations de l'immeuble et à l'origine des problèmes d'étanchéité.” Aujourd'hui, avec l'apparente disponibilité des pouvoirs publics, l'OPGI s'apprête à relancer les anciens programmes de réhabilitation et rénovation de 5 000 logements répartis sur 23 cités pour un montant de 250 millions de DA. Mais pour de telles opérations des fonds importants sont nécessaires, cela n'est pas suffisant de faire participer les locataires moyennant une petite somme et l'OPGI, à elle seule, ne peut assurer le coût des grosses interventions. Sur cette question, le directeur général de l'OPGI d'Oran évoque avec nous cet aspect primordial : “Il y a une réflexion, un travail, qui sont menés pour voir de quelle manière l'on pourrait dégager des fonds qui serviront aux grandes opérations de réhabilitation. Il pourrait être question de récupérer la taxe d'habitation qui serait versée au niveau du Trésor et qui servirait uniquement à financer les programmes de réhabilitation du vieux bâti. Là, bien sûr, il y aura des enquêtes et des études à mener pour déterminer les cités, la nature des travaux, des fiches techniques seront élaborées et soumises à une commission…” Aujourd'hui, et alors que l'hiver s'annonce pluvieux et froid, la ville d'Oran retient son souffle, des centaines de pères et de mères de famille restent éveillés la nuit à l'écoute du moindre craquement dans les murs, dans les plafonds, près à bondir à l'extérieur leurs enfants dans les bras… D. L.