Décès dans de terribles circonstances, visages défigurés, membres amputés, difficultés fonctionnelles, cicatrices inesthétiques et dyschromie... Ce sont là des séquelles des brûlures graves, induites dans 93% des cas par des accidents domestiques. Au-delà de la douleur de la blessure fraiche, la découverte des cicatrices, que parfois la meilleure chirurgie ne peut effacer, plonge le brûlé – ou sa famille – dans un état de dépression qu'il est difficile à transcender. “Il faut quelques secondes pour se brûler, quelques heures pour être transféré dans un service spécialisé, quelques années pour être réparé et toute une vie pour faire le deuil de sa peau”, résume le Dr Myriam Behloul, chirurgienne plasticienne à la Clinique centrale des brûlés d'Alger. Elle indique que le nombre des brûlés ne cesse d'augmenter, jusqu'à poser un véritable problème de santé publique. Face au phénomène se pose la contrainte de manque de structures spécialisées. À vrai dire, il n'est existe que deux établissements hospitaliers spécialisés pour brûlés et chirurgie réparatrice dans la capitale. L'un est implanté à Douéra et l'autre à la rue Pasteur. Un accord a été conclu, dernièrement, entre les deux centres pour restreindre l'activité de la clinique d'Alger-Centre à la prise en charge des enfants. “Pour réduire le volume d'attente, nous favorisons les enfants, mais nous acceptons aussi les adultes quand il y a nécessité”, précise le Dr Khaled Ouafek, médecin généraliste devenu spécialiste du traitement des brûlures par la force de la pratique. “Nous accueillons des patients de l'ensemble du territoire national”, ajoute-t-il. Les 62 lits d'hospitalisation et les 4 places ambulatoires sont occupés en permanence. Entre les interventions d'urgence et les actes de chirurgie réparatrice, l'équipe médicale de la clinique, composée de 14 médecins généralistes, 5 réanimateurs, 6 chirurgiens et un médecin rééducateur, ne sait plus où donner de la tête. “Quand la surface corporelle brûlée est grande, il faut agir vite, car le pronostic vital est mis en jeu”, explique Dr Behloul. Récemment, un bébé est décédé avant que l'équipe médicale n'ait pu faire quelque chose pour lui sauver la vie. Son corps a été complètement ravagé par les flammes, après la chute d'une bougie posée à proximité de son lit. “Les décès sont liés à beaucoup de facteurs, dont celui des admissions tardives. À l'intérieur du pays, la pathologie du brûlé n'est pas maîtrisée. Les évacuations prennent du temps. Nous perdons ainsi des malades à leur arrivée à Alger”, souligne Dr Oughlis, médecin réanimatrice. En 2008, la structure a enregistré 25 décès. “Si la brûlure ne tue pas dans les secondes ou les jours qui suivent, elle risque cependant de handicaper la personne à vie. D'ailleurs, plus l'enfant est jeune, plus le bilan est grave. Les âges extrêmes (la vieillesse aussi) sont des facteurs aggravants”, poursuit Dr Behloul. Il est admis que les gosses guérissent mieux, mais font davantage de cicatrices hypertrophiées. Ils encourent, en outre, des retards de croissance, si la surface corporelle brûlée est sérieuse, notamment à cause d'une cicatrisation à tendance rétractile. L'EHS a reçu, durant les douze mois écoulés, 9 812 urgences dont 3 241 enfants et 723 hospitalisations en chirurgie plastique. “En majorité, nous recevons des blessés dans des accidents domestiques”, atteste Dr Sahraoui, corroborée par l'ensemble de ses collègues. La tabouna et la bouteille de gaz butane sont aussitôt incriminées. Les témoignages des patients hospitalisés confirment cela. Yasmine, âgée d'à peine 5 ans, est victime en même temps que sa mère (admise à l'hôpital de Douéra) d'une explosion de gaz, survenue au début de février. Elle souffre de brûlures de 2e degré intermédiaire au visage et aux mains. “C'est un type de brûlures qui peut guérir spontanément ou, au contraire, s'aggraver”, explique Dr Sahraoui, son médecin traitant. Dans la seconde chambre, une adolescente, évacuée de l'hôpital de Médéa, est soignée pour des brûlures par ébouillantement à la jambe et à la cuisse. “Généralement, quand ils viennent de l'intérieur du pays, nous recevons les patients en retard. Il y a déjà perte de substance”, indique la praticienne. Dans le lit voisin est étendu un garçonnet de 14 ans. “Des jeunes du quartier, à Ténès, l'ont aspergé d'essence puis l'ont embrasé. Ils l'ont fait exprès”, raconte sa maman. “Il a déjà été greffé plusieurs fois et il le sera encore car la SCB (surface corporelle brûlée) est importante. Il est hospitalisé depuis un mois et demi”, explique encore Dr Sahraoui. Elle ajoute qu'il lui faut beaucoup de sang et une bonne alimentation pour bien supporter le traitement. “La peau est un organe noble. La première barrière qui nous protège du milieu infectieux extérieur. La brûlure détruit cette barrière. Le corps utilisera toutes les forces dont il dispose pour la réparer. Quand la surface détruite est importante, le corps ne peut pas la reconstruire, bien qu'il consomme toutes ses ressources. C'est là qu'intervient la greffe cutanée”, schématise Dr Behloul. “Le brûlé ne souffre pas que de lésions cutanées, mais aussi d'infections et de dénutrition qui entraîne un état d'hypercatabolisme”, complète Dr Oughlis, médecin réanimatrice. Elle évoque le manque de moyens, notamment les consommables et les conditions de travail aléatoires induites essentiellement par l'exiguïté des lieux. Le bâtiment de six étages, qui abrite les activités de la Clinique centrale des brûlés, n'est pas adapté à cette fonction. “La structure ne convient pas pour l'hospitalisation des enfants. Les murs sont blancs, il n'y a pas de jardins et nous n'avons pas d'espaces pour aménager une ludothèque. Les gosses passent leur temps dans les lits ou à courir dans les couloirs”, souligne notre interlocutrice. Elle déplore aussi que le service des soins intensifs ne possède que huit lits pour une demande nettement supérieure à ce chiffre. La faiblesse du personnel paramédical impose de facto la présence de gardes-malades. “Ce sont généralement des femmes au foyer qui n'ont pas de notions d'hygiène hospitalière, d'où les risques d'infections nosocomiales”, signalent les médecins de la clinique. Le personnel de la Clinique centrale des brûlés évoque, également, la souffrance des patients et de leurs familles. “Il y a nécessité de prise en charge psychologique autant pour le malade que pour le personnel. Nous entendons des cris à longueur de nos heures de service. C'est déprimant”, témoigne une surveillante au service des soins intensifs. Il est vrai qu'au-delà de la douleur induite par une blessure fraîche, la découverte des séquelles des brûlures, que parfois la meilleure chirurgie ne peut effacer, plonge le brûlé dans un état de dépression qu'il est difficile de transcender. S. H.