Désormais la loi islamique de la charia sera légalement appliquée dans la vallée du Swat, une province pakistanaise. Le retour des tribunaux islamiques dans cette région proche de la frontière afghane intervient après des accords conclus entre le pouvoir central d'Islamabad et les dirigeants talibans. Ces derniers contrôlent plus de 70% de la province et leurs milices sont évaluées à quelque 3 000 individus qui ont tenu la dragée haute, pendant des mois, à 12 000 soldats de l'armée régulière suppléés par des paramilitaires et des policiers. Les autorités pakistanaises affirment avoir posé des conditions aux talibans qui les auraient acceptées. L'une d'entre elles consiste à ne pas interdire la scolarisation des filles. Mais cette clause risque de s'avérer caduque puisque des centaines d'établissements scolaires fréquentés par les jeunes filles ont déjà été détruits, sans compter les pressions et les menaces qui pèsent quotidiennement sur les parents tentés de braver l'interdit. Il y a quelques mois, à la fin de l'année dernière, les talibans ont en tout cas lancé un ultimatum aux habitants pour fermer toutes les écoles de filles avant le 15 janvier passé. Islamabad affirme que les populations de la région sont satisfaites des accords et sont sorties en liesse dans les rues pour saluer le remplacement de la justice officielle par des tribunaux islamiques. La région ayant été interdite depuis très longtemps aux touristes étrangers ainsi qu'à tout observateur, ces propos invitent à la plus grande prudence, surtout connaissant les méthodes et l'efficacité des mouvements intégristes quand il s'agit de faire des démonstrations de force. De plus, dans le cadre de ces accords, Islamabad a entériné le principe d'un cessez-le-feu de dix jours qui pourra être mis à profit par les rebelles pour se réorganiser et se réarmer. En fait l'attitude du pouvoir central dans cette affaire ressemble étrangement à une capitulation, qui peut s'avérer suicidaire et susciter des vocations. Elle peut mettre en péril la nature même du pouvoir au Pakistan et représenter un danger pour les pays voisins, sans oublier toutes les complications qu'elle vient ajouter à ses alliés dans la lutte contre le terrorisme. Les capitales occidentales suivent avec inquiétude les dernières évolutions et de nombreux analystes, y compris au Pakistan, n'hésitent pas à accuser Islamabad de jouer avec le feu en contrepartie d'une paix circonscrite et chimérique. Amnesty International, qui affirme que les talibans ont poussé à l'exode près d'un demi-million de personnes originaires du Swat, a publié mardi un communiqué qui tire la sonnette d'alarme. L'organisation dénonce les dernières offensives de l'armée régulière pakistanaise qui auraient fait beaucoup de victimes civiles et déplore que les populations de la région soient ensuite abandonnées aux exactions des talibans, à l'issue de ces accords. Richard Holbrooke, l'envoyé spécial de Washington pour l'Afghanistan et le Pakistan, a déclaré depuis New Delhi où il concluait une visite dans la région, que “ce qui vient de se passer à Swat montre à quel point l'Inde, les Etats-Unis et le Pakistan doivent faire face à une menace commune”. Il s'est néanmoins montré très réservé, voire sceptique, à propos de l'initiative d'Islamabad et a rappelé que lors d'un précédent passage à Peshawar, où il a rendu visite à des réfugiés ayant fui le Swat, il a trouvé “des gens terrifiés”. Plusieurs accords ont déjà été conclus entre le gouvernement pakistanais et les talibans du Swat, mais ils n'ont jamais été respectés au-delà de quelques jours. Rien ne permet de dire que les derniers en date auront un meilleur sort. C'est d'autant plus vrai que les chefs talibans qui ont ratifié l'accord ont fait allégeance à un autre chef, Mehsud, qui s'est récemment encore déclaré prêt à marcher sur Islamabad. Quand on sait que la capitale est à peine distante de 150 kilomètres du lieu des opérations…