Pris dans le tumulte d'une existence compliquée, Rabie et Rabéa sont deux êtres en perdition, mais qui, dans leurs gestes quotidiens et par la futilité de leur vie, refusent de céder à la fatalité et aspirent ferment à une vie décente, dans un monde problématique et indécent. Sans Titre est une pièce qui traite, en deux heures environ, de l'homme dans son absurdité et dans son insignifiante humanité. Le Théâtre national algérien Mahieddine-Bachtarzi a abrité, le week-end dernier, deux représentations consécutives de la pièce Bidoun Ounouane (sans titre). Produite pas l'association théâtrale Les amis de Rouiched, Bidoun Ounouane est mise en scène et interprétée par Sonia et Mustapha Ayad, d'après le texte de Khaled Bouali. C'est l'histoire d'un homme et d'une femme, qui auraient pu être heureux, mais qui ne le sont malheureusement pas, car chacun est hanté par un passé trop lourd et une histoire personnelle compliquée. C'est l'histoire de Rabie et Rabéa : deux êtres unies par le hasard car ils sont voisins ; mais séparés par le destin car ils ont une vie compliquée. En effet, le sort n'a été très clément ni envers Rabie puisqu'il lui a enlevé sa fiancée à quelques jours de leurs noces ni envers Rabéa qui attend son mari, “évaporé” un beau matin. Les blessures de ces deux protagonistes les placent dans une attente interminable, éternelle, perpétuelle et dévastatrice. En effet, l'attente est le trait apparent des deux personnages ; poussée à son paroxysme, même le spectateur est placé dans cette attente, ce qui induit l'identification. Mais l'existence de Rabie est Rabéa est révoltante puisqu'ils se compliquent tous deux l'existence, se complaisant ainsi dans le malheur. Les années passent et Rabie et Rabéa deviennent inséparables : la vie devient inconcevable pour l'un sans l'autre ; et ensemble, ils affrontent les déboires quotidiens avec un semblant de résignation, et subissent le poids d'une société injuste puisqu'elle les a marginalisés. L'adage “À chaque jour suffit sa peine” s'appliquerait parfaitement sur les déceptions quotidiennes de Rabie et Rabéa : ils sont privés d'eau, puis d'électricité, ensuite de gaz et à la fin, on leur barre la route. L'existence devient ainsi un isolement… une prison ! Heureusement, qu'il y a l'amour… Autour de Rabie et Rabéa gravitent deux autres personnages : Bezouh et El-Hamel, qui cherchent désespérément “El Qarya” (le village). On apprendra que Bezouh a tué un homme à l'arme blanche et qu'il est encore hanté par le regard de ce dernier, qui n'est autre que le mari de Rabéa qu'elle attend toujours. Les deux “couples” sont aux antipodes : Alors que Bezouh et El-Hamel fuient, Rabie et Rabéa attendent. Bien qu'elle passe par quelques moments difficiles, notamment dans le rythme, la pièce est intéressante puisque ses voies sont multiples. En effet, le propos de Bidoun Ounouane est de décrire le rapport de l'homme face à l'adversité. Les humains ont un rapport particulier avec le malheur car dès qu'ils sont face à une situation difficiles, ils se placent dans l'attente, deviennent résignés et le plus souvent, ils renoncent. Bidoun Ounouane, c'est l'histoire d'individus qui évoluent dans un contexte de privations : sans eau, sans électricité, sans gaz, sans route, sans espoir, sans amour, sans haine, sans présent, sans avenir, sans perspective, sans désirs, sans plaisirs… Toutefois, ce cumul engendre un coup de gueule retentissant : “Barakat !” En revanche, bien que le jeu des comédiens ait été brillant, la pièce n'a pas d'intrigue ; elle s'inscrit dans un théâtre sur la condition humaine, à la fois naïf et un peu révolu. Si on s'attarde à comparer entre les situations dans cette pièce et celle de la vie vraie vie, on constatera qu'il n'y a presque pas de similitudes ; quoique la nature humaine est partout pareille. On notera que le but n'est pas de reproduire la réalité, mais de créer le vraisemblable, mais la vraisemblance de Bidoun Ounouane est très éloignée du contexte actuel. Par ailleurs, l'intérêt de la pièce réside dans son non-sens, les faux problèmes qu'elle crée et les questions qu'elle suscite. Elle pousse l'absurde à son paroxysme à telle enseigne qu'on se croirait presque dans le mythe de Sisyphe, puisque tel ce personnage mythologique banni, les personnages sont pris dans un engrenage et un cercle vicieux qui les contraints à reproduire les mêmes erreurs et les mêmes gestes quotidiennement, continuellement, éternellement, perpétuellement… Sara Kharfi