“Il était temps que notre pays soit en paix avec lui-même”, a déclaré Hervé Morin, le ministre français de la Défense, qui a présenté hier son premier plan d'indemnisation. Plus d'un demi-siècle après les premiers essais nucléaires français dans le Sahara algérien, l'ancienne puissance coloniale décide de payer sa dette aux victimes, recensées parmi les personnels civils et militaires et la population. Le ministre de la Défense, Hervé Morin, a présenté hier son premier plan d'indemnisation doté de 10 millions d'euros en 2009. Justice sera-t-elle ainsi rendue ? Pas si sûr puisque seulement “quelques centaines” de personnes auraient pu développer un cancer dû à la radioactivité et sont ainsi susceptibles d'être dédommagées. C'est en 1957, dans le cadre de sa politique de dissuasion militaire, que la France a créé un champ d'expérimentation nucléaire au Sahara sur une sur surface de 108 000 km2. Le centre saharien d'expérimentation nucléaire destiné à la mise en place des essais atmosphériques a été installé à 50 km au sud de Reggane. La France évalue à 40 000 le nombre de personnes vivant à l'époque dans la région de Reggane et dans la vallée du Touat. Par la suite, les essais se feront en galerie et réalisés par le centre d'expérimentations militaires des oasis dans le Hoggar, à proximité d'In Ekker, à 150 km au nord de Tamanrasset. Quelque 2 000 personnes habitaient cette zone, selon les estimations françaises. Les bases de vie abritaient aussi 1 000 personnes. Du 13 février 1960 au 17 février 1966, soit près de quatre ans après l'indépendance, la France a réalisé 4 essais atmosphériques et 13 essais souterrains auxquels il faut ajouter ce que les militaires ont appelé des expériences complémentaires, sans dégagement d'énergie nucléaire, et destinées à vérifier que les engins ne pouvaient fonctionner en cas de mise à feu accidentelle de l'amorce pyrotechnique. Le premier essai atmosphérique au nom poétique de “Gerboise bleue” a été réalisé, selon le ministère français de la Défense, le 13 février 1960. Selon le jargon technique, l'essai se présente ainsi : disposé sur un pylône, l'engin testé a développé une puissance de 70 kilotonnes. Trois autres engins de la série “Gerboise” d'une puissance inférieure à 5 kt, dont deux sur pylône et un au sol, ont été testés. La dernière expérimentation a été effectuée le 25 avril 1961. La France admet que cet essai a été marqué par un incident ainsi décrit : lors de la préparation d'un “tir de pastille”, “une charge pyrotechnique de 10 kg appliquée à une capsule contenant 25 g de plutonium a explosé prématurément. Un dixième du plutonium a été dispersé. Dix personnes travaillant à moins de 50 mètres ont été directement affectées par l'accident et ont subi une contamination locale”. “Les valeurs les plus élevées de la radioactivité de l'eau ont été décelées immédiatement après l'essai Gerboise bleue à Bordj Arak, à El-Goléa et à In-Salah. Ces valeurs ont décru rapidement. Les produits alimentaires mesurés ont présenté des niveaux de contamination très faibles qui ne nécessitaient aucune restriction de consommation”, observent les Français. La suite des essais sera réalisée dans des galeries en forme de colimaçon creusées dans le massif granitique du tan Affela, dans le Hoggar. “Cette géométrie était prévue pour que l'onde de choc générée par l'explosion obture la galerie avant que les produits formés par l'essai ne puissent s'échapper”, explique le ministère français de la Défense. Trois de ces essais ont provoqué des rejets dus à des imperfections du confinement : Améthyste (30 mars 1963), Rubis (30 octobre 1963), Jade (30 mai 1965). Ces incidents technologiques n'ont cependant eu aucun impact radiologique significatif sur le personnel, détaille le ministère français de la Défense. Pour la France, il ne semble pas y avoir d'importante contamination radioactive. Les essais achevés, les sites d'expérimentation ont été restituées en 1967. En 1999, l'Algérie a demandé à l'AIEA de mener une mission d'évaluation de la situation radiologique. L'AIEA a recommandé que les sites soient interdits d'accès. En présentant, hier, son plan d'indemnisation, Hervé Morin a estimé que “quelques centaines” de personnes ont pu développer depuis un cancer, victimes de radiations. “Treize ans après la fin des essais dans le Pacifique et après le traité d'interdiction des essais ratifié par la France, il était temps que notre pays soit en paix avec lui-même”, a-t-il relevé, alors que des associations de vétérans bataillent depuis des années pour faire valoir leurs droits. Il a confirmé que les dossiers d'indemnisations seraient confiés à un comité composé pour l'essentiel de médecins et présidé par un magistrat. Ce comité disposera de six mois pour émettre une proposition d'indemnisation qui devra encore être avalisée par le ministre de la Défense. Il n'appartiendra “plus à la victime de prouver que sa maladie est due aux essais, mais à l'Etat de le contester”, le cas échéant, a expliqué Hervé Morin. De la même manière, la liste des maladies ouvrant droit à indemnisation sera “inspirée” de celle établie par une instance onusienne, le Comité scientifique des Nations unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants (UNSCAER). Cette liste, qui compte 18 maladies (cancers de la thyroïde, des poumons, du sein, leucémies...) est “beaucoup plus large” que celle retenue par la sécurité sociale française, a fait valoir M. Morin, qui a précisé que le projet serait transmis au Parlement avant la fin juin. Les procédures s'annoncent compliquées. A. O.