Les essais nucléaires auxquels la France a procédé entre 1960 et 1966 continuent de soulever la controverse. D'abord, parce qu'il a fallu près d'un demi-siècle, à Paris, pour reconnaître que ces expériences ont fait des victimes humaines. La France, dans un projet de loi présenté par le ministre de la Défense, Hervé Morin, manifeste sa disponibilité à indemniser les victimes des essais nucléaires qui ont eu lieu au Sahara algérien et en Polynésie française. Mais pour Hervé Morin, le nombre de bénéficiaires serait limité au regard des 150 000 personnes qui ont été directement impliquées dans la préparation et l'exécution des essais nucléaires français. Le ministre de la Défense occulte en l'occurrence les dommages subis par les populations et l'environnement tant au Sahara qu'en Polynésie. Il est difficile de croire, par exemple, que les explosions de Reggane ne produisent pas des retombées dans l'atmosphère jusqu'à ce jour. C'est à ce niveau qu'un reproche d'ambiguïté, à tout le moins, est fait au projet de loi qui vient d'être présenté par le ministre de la Défense du gouvernement français. L'étonnement est ainsi très grand de voir la reconnaissance du statut de victimes des essais nucléaires dévolue à un collège de médecins présidé par un magistrat, mais dont les conclusions seront soumises à l'aval du ministre de la Défense qui décidera d'accorder, ou pas, les indemnisations recommandées par la commission. La démarche ainsi adoptée donne déjà à penser que le ministre de la Défense est juge et partie dans ce dossier des essais nucléaires français. Les ONG en charge du dossier pouvaient s'attendre légitimement à ce que les enquêtes circonstanciées soient confiées à des experts indépendants et non à des fonctionnaires relevant d'une autorité politique. Si c'est le cas, il ne faut pas espérer voir agrégées aux procédures d'indemnisation les réparations dues pour atteintes à l'intégrité écologique du Sahara algérien ou de la Polynésie. Il ne s'agit pas d'un enjeu seulement financier, mais davantage moral dans le sens où la France a la responsabilité de prêter assistance aux pays dont les territoires et les peuples ont fait l'objet de ses expérimentations mortifères. La question est bien plus complexe, et pour tout dire bien plus philosophique, que les quelques euros que la France accepterait de donner en guise de dédommagement. Car, enfin, la question peut se poser encore de savoir pourquoi ces explosions nucléaires ont eu lieu dans le Sahara et en Polynésie et non dans le Larzac ou les Landes. C'est vouloir blesser la mémoire des peuples concernés, leur conscience vigilante, que de nourrir l'illusion qu'une page aussi tragique, qui renvoie d'abord au sombre passé colonial, peut être tournée à si moindres frais.