Une voix qui chavire, des mots simples qui tanguent, qui tombent comme des galets, comme des bombes, emportés par le flux et le reflux de l'archet caressant une contrebasse… Des mots qui partent, qui reviennent. Des mots qui échouent tels des naufragés… Dans le cadre du Printemps des poètes, une manifestation organisée annuellement par le Centre culturel français d'Alger (CCF), la Compagnie de la Gare-Gare au théâtre, a posé ses valises, le temps d'une soirée, pour inviter, dimanche dernier, le public au voyage. Un voyage de mots, un voyage poétique dénué de toute note solennelle, un voyage de souvenirs, remontant aux maîtres de la poésie française, pour le plus grand bonheur des présents…Verlaine, Rimbaud, Aragon, Desnos et autres Prévert et Queneau constituaient les différentes étapes de cette virée lyrique. Contrairement aux lectures habituelles, celle de dimanche avait cette particularité d'allier lecture théâtralisée à la musique. Avec Mustapha Aouar à la voix et Eric Recordier à la contrebasse, le duo, au fur et à mesure que s'égrenaient les minutes, créait une atmosphère particulière, voire singulière. Mustapha Aouar, avec sa voix cassante, chavirait avec les mots, emportés par le flux et reflux de l'archet sur la contrebasse. Impression d'un navire qui tangue. Allant au cœur des mots, la voix revient tel un boomerang caresser les oreilles du spectateur. Les mots, tels les graines de sable du sablier tombaient un à un, fluides. Des mots simples, des mots légers par leur envolée, mais lourds par leur sens… Tantôt chuchotant, tantôt haussant la voix, criant presque, tantôt riant à gorge déployée comme un petit diable, Mustapha Aouar alternait, avec une maîtrise avérée, les tons et les expressions, aidé, ou plutôt guidé par une musique profonde, exécutée par Eric Recordier. Une musique qui interpelle les sens, mais qui toutefois n'a pas fait l'unanimité. En effet, après cette prestation, les avis restent mitigés. Certains ont été ravis au plus haut degré alors que d'autres trouvaient en cette représentation une approche assez particulière, mais qui casse avec ce qu'ils avaient l'habitude de voir ou d'entendre.En revanche, après le CCF, la Compagnie de la Gare-Gare au théâtre a offert deux séances de rattrapage. La première, lundi dernier à l'espace Point Virgule de Chéraga, et mardi à l'espace Noun (Alger-Centre). Mustapha Aouar a entamé son récital par le célèbre poème À mademoiselle, de Paul Verlaine, avant d'enchaîner avec les autres poésies de son programme poétique. Mais la grande particularité de cette rencontre a été des lectures de textes inédits choisis par les gérants de l'Espace Noun. Mustapha Aouar a charmé les présents en lisant des extraits du recueil Soliloque de Kateb Yacine, deux poèmes extraits de Feu beau feu de Mohamed Dib, un extrait des œuvres complètes de Jean Sénac intitulé Racailles ardentes ; et pour clôturer cet extraordinaire moment de poésie, Mustapha Aouar a déclamé le poème Diwân Noun (extrait des Œuvres complètes de Sénac). Un clin d'œil à l'espace qui l'a accueilli. Amine IDJER