La dernière mesure prise par le bureau fédéral de la FAF au sujet de l'obligation faite aux équipes à partir de la saison prochaine d'inscrire trois juniors sur la feuille de match et de faire jouer deux d'entre eux fait débat. D'aucuns estiment que si dans le fond l'idée est bonne dans le sens où elle vise à promouvoir les jeunes catégories et garantir une meilleure relève, la forme pose problème. Certains y voient du reste une immixtion directe de la FAF dans le travail des entraîneurs. À ce titre, Liberté se propose d'ouvrir le débat et donne aujourd'hui la parole à certains entraîneurs. L'entraîneur de la JS Kabylie Jean-Christian Lang semble sceptique à ce sujet. “J'ai connu cette expérience dans plusieurs pays et j'avoue qu'elle n'a jamais été conservée, car très peu concluante dans le temps”, dira Lang. “Même en France, cette expérience avait été déjà tentée à l'époque où j'étais joueur dans les années 1970, mais elle n'a pas duré, car elle n'a pas donné les résultats escomptés. À mon avis, l'avenir du football algérien et celui de l'équipe nationale réside dans la création des centres de formation où les joueurs les plus doués auront des chances d'évoluer en équipe fanion. Le meilleur exemple que je peux citer est bien celui du jeune Belkalem qui s'est imposé magistralement cette saison au sein de la JSK alors qu'il est encore junior et qu'il n'avait pas besoin d'une décision administrative pour s'imposer en senior”, dira l'entraîneur en chef de la JSK. L'ancien coach de la JSMB, et l'un des meilleurs avant-centres qu'a connu l'histoire du pays, Djamel Menad, estime pour sa part, que “cette décision de la FAF, applicable à partir de la saison prochaine, c'est-à-dire sans préavis, constitue une immixtion directe dans le travail de l'entraîneur seul à même de choisir le groupe avec lequel il doit jouer”. “Je pense que dans ce cas de figure, la FAF en voulant certes bien faire a outrepassé ses prérogatives pour s'immiscer directement dans le domaine des techniciens. Or, le lancement des jeunes dans la catégorie senior est une chose, et le choix de l'équipe en est une autre”, dira Menad. Et d'ajouter : “Pour ma part, je suggère plutôt la réhabilitation d'un championnat national espoir qui serait subventionné par l'Etat, car les clubs n'ont pas les moyens de faire face aux dépenses nécessaires. Cette compétition sera l'antichambre de l'élite et je ne pense pas qu'il existe un entraîneur en Algérie qui hésiterait à utiliser un espoir qui excellerait dans sa catégorie en équipe senior. En fait, au lieu d'imposer comme ça des juniors ou des espoirs dans l'équipe A par une décision administrative contraire aux règles d'usage partout dans le monde surtout à un moment où l'on évoque le professionnalisme comme solution imminente en Algérie, je crois qu'il serait plus judicieux de donner à ses espoirs les moyens et les conditions de leur épanouissement afin de venir taquiner justement leurs aînés seniors et pourquoi pas piquer leur place.” De son côté, Azzedine Aït Djoudi estime que “cette mesure pourrait être nuisible aux jeunes joueurs contrairement aux objectifs souhaités à travers l'application d'une telle mesure. En effet, les nouvelles dispositions réglementaires relatives à l'engagement aux compétitions de la saison 2009-2010 ne semblent pas faire l'unanimité au sein de la famille du football national. C'est le cas concernant la disposition relative à la participation des joueurs, notamment dans l'article 4-2, où les clubs de toutes les divisions sont obligés de faire inscrire sur la feuille du match pour la compétition des seniors trois joueurs des catégories de jeunes dont deux doivent participer à toute la rencontre”. Nous avons jugé utile de prendre l'avis du coach du club champion arabe en l'occurrence Azzedine Aït Djoudi qui dira : “je pense qu'à la limite des choses, il faut faire d'abord une bonne sélection avant de commencer à appliquer une telle disposition. Il est vrai que la Fédération algérienne de football veut encourager la formation à travers une telle disposition, mais ce n'est pas évident lorsque nous avons des objectifs et des investissements bien définis qu'on est obligé d'atteindre. Maintenant, si cela venait à être appliqué, il y aurai toujours du vide. On ne va pas faire jouer deux jeunes joueurs pour les faire sortir cinq minutes plus tard. Cela pourrait leur porter un grand préjudice, contrairement aux objectifs souhaités. Bien au contraire, il faudra prévoir un programme de formation au niveau des clubs et faire en sorte d'appliquer cette mesure dans deux ans par exemple. Dans ce cas de figure, j'estime que ça va être un travail de complaisance”, nous a dit notre interlocuteur. Les techniciens gênés l'entraîneur de l'ASO, Amrani, souligne par ailleurs que “c'est difficile à concrétiser dans la mesure où la formation des jeunes en Algérie n'est pas aussi brillante comme on le souhaite. Aligner deux juniors dans l'équipe équivaut à mettre en lanterne d'autres joueurs capables de ramener le meilleur. S'il était question d'un seul joueur, on pourrait passer l'éponge, mais deux, c'est un peu trop. C'est vrai que c'est encourageant pour la formation des jeunes, mais cela n'est pas évident quant à la qualité de ces jeunes. Intégrer des juniors parmi l'effectif fanion, d'accord, mais de là à en aligner deux serait vraiment handicapant et là je cite par exemple les objectifs des clubs, les exigences et j'en passe. On a même des joueurs qui sont là depuis deux saisons et ils n'arrivent pas à s'en sortir, comment voulez-vous qu'un jeune junior puisse réussir d'entrée. J'aurais bien aimé que l'on fixe une certaine tranche d'âge comme par exemple promouvoir dix joueurs moins de 21 ans ou de moins de 20 ans parmi l'effectif, cela aurait été meilleur à mon sens.” de son côté l'entraîneur de l'AS Khroub, Mustapha Biskri, estime que cette mesure ne permet pas aux clubs ainsi qu'aux techniciens de garantir des résultats à l'avenir. “C'est gênant de prendre une telle mesure. En tout cas, là où je suis passé, j'ai toujours utilisé des jeunes, mais pas n'importe lesquels. C'est sûr, si un jeune sort du lot, je ne vois pas pourquoi devrais-je m'en passer de ses services. Mais pour exiger aux clubs d'aligner deux juniors sur le terrain, je trouve cela très gênant, car ce n'est pas tous les clubs qui disposent de bons juniors. C'est pour vous dire que cette décision n'arrange pas les affaires de nos clubs”, nous a-t-il déclaré et d'ajouter : “En Europe, aucune mesure dans ce genre n'a été prise. Cela veut dire beaucoup de choses. Il est vrai que cette décision vise à former une vraie élite, notamment après le bon parcours de l'équipe nationale des moins de 17 ans en Coupe d'Afrique, c'est aux présidents de prendre des mesures concrètes”, a-t-il ajouté. “Je vous pose une question ? Pensez-vous avec l'effectif que recèle actuellement l'ESS qu'un junior est en mesure de se frayer une place parmi ce beau monde ? Ce sera difficile. La meilleure façon, à mon avis, est d'élaborer un programme de formation. De plus, on aurait dû au moins se concerter avec les entraîneurs et les présidents de club”, a-t-il conclu. “Nous n'avons pas été consultés et c'est dommage ! ” De son côté, le coach du MCO, Omar Belatoui, pose un autre problème. “D'un côté, ces nouvelles dispositions encouragent la formation. C'est une excellente initiative donc. Mais d'un autre, je ne pense pas que ces nouvelles lois fassent le bonheur des entraîneurs. Personnellement, je voudrais bien poser la question suivante : nos juniors sont-ils prêts à jouer en senior dans le contexte actuel ? Sincèrement, je ne le pense pas dans la mesure où nos jeunes catégories n'ont pas un terrain adéquat où s'entraîner convenablement. Ils ne sont pas réellement pris en charge. Ils s'entraînent, certes, mais avec les moyens du bord. Mais de là à les lancer en pleine compétition officielle, je ne suis pas d'accord. Précision, je ne suis pas dans la forme. Dans le fond, OK, pas de problème, car moi-même j'ai été lancé en senior, en équipe première du MCO alors que je n'étais pas encore senior. Mais les deux époques diffèrent, car, de notre temps, la formation existait et nous, nous étions capables d'assurer nos places parmi nos aînés. Cependant, à l'heure actuelle, je ne pense pas que les juniors soient capables de supporter, sur le double plan physique et mental, les contraintes de la première et de la seconde division. Cette loi ne favorise également pas le travail de l'entraîneur. N'oublions pas que le technicien dépend, surtout, des résultats enregistrés, en particulier dans les clubs où l'obligation de performance est permanente. Et très franchement, je ne vois pas où est cet entraîneur qui se dirait content d'hypothéquer un résultat presque acquis rien que pour lancer un junior ! J'estime, en ce sens, que la FAF aurait dû laisser un plus de temps aux entraîneurs avant de leur imposer ces nouvelles dispositions car, au risque de me répéter, nous ne sommes pas encore totalement prêts.” Pour sa part, Drid Nasreddine, l'actuel entraîneur de Aïn Turk a indiqué : “à mon avis, la fédération est en train de prendre d'excellentes initiatives. Le fait d'être certains de trouver sur toutes les feuilles de match trois éléments juniors encouragera très certainement les clubs formateurs. Quant à ceux qui pensent que c'est une immixtion dans les affaires techniques de l'entraîneur, je ne partage pas du tout leur avis. Etant entraîneur, je suis même pour la titularisation pure et simple de ces trois juniors. En fonction du déroulement de la rencontre et de l'évolution du score, le staff technique aura ensuite toute la latitude de lancer en cours de match des joueurs plus expérimentés pour préserver un résultat ou au contraire profiter d'un contexte donné. Je pense, donc, que c'est une très bonne chose de fait. Mieux, avec cette autre décision de limiter à 32 ans l'âge d'un joueur évoluant en division interrégion, la FAF met ainsi fin à cette pratique très répandue qui voudrait qu'un vieux routier de la nationale une prenne une préretraite à ce niveau en barrant la place à un jeune joueur qui a besoin de temps de jeu pour progresser. En somme, je suis pour ce genre de décisions courageuses qui font la part belle aux vrais formateurs et incitent, en parallèle, les clubs à tracer des objectifs à la mesure de leurs moyens humains et financiers. Ce qui aura, très certainement, pour conséquence, de mettre fin à ces situations burlesques de douze ou quinze clubs promettant à leurs publics respectifs le titre et les places d'honneur, ce qui débouche généralement sur des scènes de violence et d'émeutes, elles-mêmes sont les résultats directs de déceptions successives à de mauvais résultats.” Même son de cloche chez l'entraîneur du CR Belouizdad qui estime que cette mesure vise à promouvoir le football en Algérie. “Je suis favorable à cette décision, car cela va permettre aux jeunes du cru de s'aguerrir, mais aussi d'acquérir une expérience en football. À mon humble avis, cela va sans doute former des futurs footballeurs doués qui seront appelés un jour à défendre les couleurs de la sélection nationale”, nous a-t-il déclaré et d'ajouter : “Moi, j'ai toujours fait confiance aux jeunes. Là où je suis passé, je me suis toujours tourné vers les jeunes tout en faisant confiance aux éléments juniors. Je pense que c'est la meilleure façon de former des footballeurs professionnels au sens propre du terme. Je pense aussi qu'il faut investir dans les jeunes et leur permettre de jouer plus souvent dans le haut niveau. Au lieu de ramener des étrangers qui évoluent dans des divisions inférieures, le mieux est d'utiliser des éléments de cru. Et cela va sans doute pousser les clubs à se tourner vers la formation. Donc, je pense que la mesure prise par la Fédération algérienne de football donnera des résultats satisfaisants dans un avenir proche”, indique Henkouche.