Coordinateur de "Biodiversité marine et littorale algérienne" ouvrage assimilé de par son exhaustivité à un ouvrage de référence pour l'Algérie, Samir Grimes est un invétéré des sciences de la mer. Actuellement sa recherche porte sur les bio-indicateurs de pollution. Les PAC (Programmes d'aménagement côtiers) sont un ensemble d'actions pour la Méditerranée en fonction des pays où ils sont domiciliés. S'agit-il d'un concept novateur ? M. Samir Grimes : Il y a eu le PAC Algérie entre 2002 et 2006 qui a concerné la zone côtière du centre de l'Algérie : les wilayas d'Alger, de Boumerdes et de Tipaza. Il s'agit, dans ce genre d'opération, d'innover avec une démarche qu'on appelle la gestion intégrée de la zone côtière en lançant des études de manière à intégrer l'ensemble des segments d'activités (tourisme, aménagements côtiers, installations en zone côtières, l'urbanisation, les activités de pêche,…) donc d'élaborer des plans d'aménagement côtiers équilibrés. Ce qui a exigé l'implication d'un certain nombre d'organismes publics, de structures universitaires, de spécialistes, aussi bien algériens qu'étrangers. Depuis 2006, il y a une série d'opérations qui sont en train d'être opérationnalisées notamment, au niveau du Chenoua, et du côté de Tipaza. Pour faire une évaluation objective, il faut, à mon avis, attendre un peu. Plus concrètement, quels sont les objectifs des PAC ? Le PAC offre un cadre de réflexion, voire comment faire de la gestion intégrée dans la zone côtière ou encore comment sortir d'une démarche sectorielle. Par exemple, s'il y a conflit entre le projet d'une ZET (zone d'extension touristique) et le secteur de la pêche, les promoteurs de la GIZC interviennent en offrant une solution. Les PAC doivent permettre un aménagement équilibré. Toutefois, il faut savoir que nous sommes encore à la phase d'ajustement vu qu'il s'agit d'une démarche nouvelle. Vous entendez-vous avec la GIZC (Gestion intégrée de la zone côtière) ? Le PAC est “assis” sur la GIZC. Cela exige qu'il y ait une certaine culture derrière. Qu'il y ait de la participation, ce qui insinue qu'il faudra accepter que les différents acteurs aient un droit de regard sur nos actions. Que le tourisme s'ouvre au secteur de l'aménagement, que ce dernier s'ouvre au secteur de la pêche… Quel rapport entre la GIZC et le projet de suivi de la qualité du milieu, s'agit-il de deux actions parallèles ? La gestion intégrée des zones côtières, c'est au niveau institutionnel. Là, vous posez le gros problème de la surveillance environnementale, particulièrement de la zone côtière qui est extrêmement sensible et fragile. Effectivement, quand on fait de la GIZC, il faut définir un certain nombre d'indicateurs qui vous permettent d'évaluer le milieu pas seulement en termes de qualité, mais également en termes de gouvernance. Comment se fait le contrôle ? est-ce qu'on gère bien ? a-t-on les ressources humaines suffisante pour faire de la surveillance environnementale ? Un des éléments clé de cette GIzC justement, est lié à ce dernier aspect. Quelle appréciation faites-vous en tant qu'expert de la surveillance environnementale du littoral algérien? Je dirai de façon claire et catégorique que cette surveillance est très ponctuelle et très localisée. Il n'existe pas au niveau national avec un système idoine. Il faut le créer. Il est vrai qu'au niveau du MATET (ministère de l'Aménagement du territoire, de l'Environnement et du Tourisme), il y a eu des tentatives, des actions, qui ont été mises en place mais ce n'est pas suffisant car, ce système doit être régulier et systématisé comme son nom l'indique, il doit disposer d'un certain nombre de moyens adaptés, de techniques et de ressources pour faire de la surveillance environnementale, surtout pour anticiper. Par exemple, pour le phénomène de prolifération des méduses, est ce qu'on aurait pu anticiper ou pas ? Nous assistons aujourd'hui à la disparition de certaines plages, à l'apparition de certaines espèces thermophiles qui du fait du réchauffement climatique ont pénétré en Méditerranée, nous disposons d'un système pour parer à cela ? C'est aussi le cas pour la prolifération d'un phytoplancton toxique localisé certes, mais il existe. Le plan de développement de la pêche et de l'aquaculture existant est très vulnérable à ce phytoplancton. Idem pour la pollution marine et les rejets industriels qui génèrent des pollutions aux hydrocarbures ou métalliques. La vraie question est : avons-nous mis en place un système pour pouvoir gérer ces situations, et éventuellement, anticiper sur les évènements environnementaux ? Si nous avons une crise majeure comme l'Erika, par exemple, sur la côte algérienne, qu'en sera-t-il ? Vous qualifiez les actions de surveillance de très timides, pourquoi le sont-elles ? À quoi cela est-il dû ? C'est faute d'existence d'un système de surveillance structuré et pérenne. Je vous l'ai dit, il existe des actions mais elles sont très localisées. Pour en connaître la raison, il faudrait poser la question aux responsables concernés. Ce n'est pas faute de moyens ? En Algérie, nous n'avons pas de crise de compétences individuelles. Ces compétences existent aussi bien au niveau des institutions, des structures, des centres d'expertise et des organisations. Il est question de compétences collectives et donc d'organisation pour structurer et organiser le système à l'échelle du territoire, il faut déterminer qui fait quoi. Annaba pourrait être un pôle de surveillance en matière de corail et d'aquaculture. À Alger, l'ESSMAL (Ex-ISMAL) (Ecole nationale supérieure des Sciences de la mer et de l'Aménagement du littoral) est une expertise reconnue en matière d'érosion côtière et de pollution marine et d'aménagement du littoral. Ou encore confier à l'université d'Es Senia à Oran le réseau de surveillance des cétacés marins, cette université dispose d'un capital expertise en la matière appréciable. On ne va pas réinventer la roue. On n'a qu'à se référer aux réseaux de surveillance existant en Méditerranée. Cependant, pour les espèces invasives, vous avez beau mettre toutes les ressources financières, si vous n'impliquez pas les clubs de plongée disséminés sur l'ensemble de la côte, ça ne servira à rien. Venons-en à votre projet – en cours - de mise en place sur l'ensemble de la côte algérienne d'un suivi de la qualité du milieu via des indices biotiques… Au niveau de notre laboratoire (ESSMAL), nous avons commencé à mettre en place un système de surveillance de la faune benthique des substrats meubles (tous les organismes marins). On le fait sur 1 100 kilomètres de côtes soit 97% de la côte algérienne. On le fait aussi bien dans les ports que dans les baies et les golfes. Pour ce faire nous utilisons des espèces biotiques benthiques qui sont bio-indicatrices et qui sont en mesure de nous renseigner sur la qualité du milieu. Cette technique est appréciée car elle est rapide et exige très peu de moyens. Quand on fait de la surveillance par rapport aux métaux lourds, il faut des laboratoires très lourds, en revanche cette technique permet d'avoir des résultats rapides, voire préliminaires en vue d'éventuelles investigations plus approfondies. Ces indices émanent de la directive européenne sur l'eau. Nous nous en inspirons pour l'adapter à la côte algérienne. Ce projet se fait en collaboration technique avec l'Université de Lille (Station Marine de Wimereux). À cet effet, des stations sont disséminées le long de notre côte, mais il faut que le système en question soit pérennisé. Il faut que l'on puisse d'ici 15 ans, faire des comparaisons sur la base de ces indicateurs de suivi. Pour l'heure, nous sommes entrain d'évaluer les résultats pour la période 1995/2001 qui reste une image de référence et une base de données. Pouvez-vous a priori renseigner les profanes sur l'état de nos côtes ? Je dirai qu'il y a deux situations en termes de pollution. Il y a des segments (une large partie de la côte) qui sont restés extrêmement propres. Ce sont les chiffres qui parlent, sur la base des indices biotiques calqués sur les modèles de la directive européenne sur l'eau. Toute la baie d'Oran est extrêmement propre. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, le port d'Arzew n'est pas le plus pollué d'Algérie. Mais, ce qui devrait nous inquiéter c'est la situation environnementale du port d'Alger et par extension la baie d'Alger sous l'effet, conjugué, de la pollution portuaire et celle véhiculée par l'oued El Harrach à partir du bassin versant de celui ci. En 50 ans, ça a évolué négativement. La baie de Bou Ismail qui était il y a dix à quinze ans, une zone de référence écologique connaît des problèmes à cause des rejets dans l'Oued Mazafran. Alger, Oran et Annaba connaissent des problèmes de pollution envers lesquelles il faut prendre des mesures urgentes et courageuses en matière de délocalisation, de technologie de production plus propres. Des contrats de performance environnementaux ont été signés en 2002 (Asmidal Annaba, Alzinc à Arzew les ont signés,…). Qu'en est-il aujourd'hui ? N.R (*) Enseignant et chercheur à l'essmal (ex. ismal) et specialiste en protection des ecosystemes cotiers sensibles de la pollution marine