Que se passerait-il si un pétrolier en difficulté perdait son chargement de brut au large de Skikda ? Ou si du fuel, acheminé par un pipeline jusqu'à une installation flottante où s'approvisionnent les gros navires, venait à se déverser à quelques kilomètres des côtes ? La fuite d'hydrocarbures, survenue dans le port d'Alger le 16 avril dernier, a rappelé combien le littoral algérien est particulièrement vulnérable et peu préparé à ce type de pollution. Pourtant, depuis la loi du 25 décembre 2004, la pollution par hydrocarbures est considérée comme risque majeur, au même titre que les séismes. « L'expérience des marées noires montre que quand il y a un accident, quel que soit le pays, aussi importants que soient les moyens et la coopération, on ne peut pas empêcher la catastrophe », nuance Abdelhafid Laouira, président de Telbahr, le comité national chargé de la lutte contre la pollution en milieu marin. « Voilà pourquoi tous les efforts doivent être mis sur la prévention. Nous sommes en train de travailler sur la problématique de la pollution marine par les hydrocarbures avec tous les acteurs concernés : sociétés pétrolières, garde-côtes, entreprises portuaires… pour mettre en place un dispositif de prévention des menaces. » Si un navire se trouve en difficulté au large, nous n'avons, par exemple, pas de remorqueurs assez puissants pour intervenir en haute-mer. Il faudrait aussi renforcer les moyens nautiques des forces navales par des moyens aériens. Notamment pour la surveillance. Depuis juillet 2007, une couverture est assurée par satellite. L'Algérie, membre du projet Marcoast financé par l'Agence spatiale européenne regroupant 32 pays, reçoit ainsi des images satellite des nappes d'hydrocarbures localisées dans ses eaux. A l'échelle méditerranéenne, il est aussi question de réguler le trafic en créant un rail marin au niveau des rives sud. Même les sociétés pétrolières ont créé en 2007 une multinationale chargée de prévenir une catastrophe et d'intervenir si elle a lieu (voir ci-dessous). Pompes et écrémeurs De l'avis des spécialistes, la fuite dans le port d'Alger montre qu'il y a urgence. « Elle soulève le problème d'insuffisance en matière de gestion de crise. Disposons-nous des moyens adaptés et du savoir-faire nécessaire pour réagir dans l'urgence ? Avons-nous développé nos capacités d'anticipation sur ce type de problèmes environnementaux ? Quelles sont nos aptitudes à la coordination ? », s'interroge Samir Grimes, enseignant chercheur à l'Institut des sciences de la mer et de l'aménagement du littoral (Ismal), spécialiste de l'impact des pollutions sur les écosystèmes marins. Au comité Telbahr, Abdelhafid Laouira tranche : « Dans le cas du port d'Alger, la réponse est clairement non. Conformément à la réglementation en vigueur, toutes les installations classées potentiellement polluantes doivent disposer d'un plan d'urgence. Or, nous n'avons pas vu sa mise en application. Quant aux moyens matériels, ils n'ont pas été déployés puisqu'il n'y en a pas. Il a fallu faire venir les pompes et les écrémeurs d'ailleurs. Et de toute manière, ils ont été insuffisants. Je ne remets pas en cause la bonne volonté de chacun mais le constat est clair. En l'absence de moyens et du déclenchement du plan d'urgence, ce déversement peut être considéré comme grave. Car si on n'arrive pas à récupérer les quantités déversées, l'impact est forcément important. » Sans même parler de cette fuite, il suffit de relever le nombre d'accidents pétroliers (voir en encadré) pour être convaincu de la pression exercée sur nos côtes. Plus de 20% du trafic pétrolier passe par nos côtes (voir carte) -selon les sources, entre 1200 et 4000 navires par an- et 30% du trafic maritime marchand. Ce dernier chiffre est important car même si le navire transporte une autre marchandise que du brut, il stocke du fuel et du gasoil pour sa propre consommation. « Par ailleurs, ajoute le président du comité Telbahr, l'Algérie exporte 100 millions de tonnes de pétrole par an et reçoit aussi des produits raffinés. Les terminaux d'Arzew, de Skikda, de Béjaïa et à un degré moindre, Alger, exportent et reçoivent. Et ces quantités sont amenées à augmenter avec la mise en place des bouées de chargement au large (deux à Arzew, deux à Skikda, une à Béjaïa), qui permettent d'approvisionner les navires de gros tonnage pour lesquels l'approche des côtes est trop dangereuse. Ces installations flottantes sont alimentées par pipeline (on les appelle sea-line). Sonatrach les met en place et la société des terminaux à hydrocarbures en assure la gestion. » En plus d'une pollution de type accidentel, le littoral est aussi exposé à un risque important de pollution chronique, de type opérationnel. En d'autres termes, une pollution volontaire et illicite générée par les navires dans le cadre de leur fonctionnement : eaux de cale, ballast, nettoyage des machines… Certes, certains ports ne sont pas équipés pour recevoir ces déversements mais même lorsque les installations existent, les commandants refusent souvent de payer pour se débarrasser de leurs déchets. A l'Institut des sciences de la mer et de l'aménagement du littoral, Samir Grimes insiste sur la menace que font peser ces pollutions sur l'environnement. L'accumulation de pollution chronique de faible ampleur, en particulier dans des mers fermées comme la Méditerranée est responsable d'une lente mais certaine dégradation des écosystèmes marins. 50 SITES BIOSTRATEGIQUES « Il existe une cinquantaine de sites biostratégiques sur la côte algérienne et tous sont exposés. » Avec un tel risque-environnement, on devrait mettre en place une système qui permette de savoir quel plan adéquat déclencher selon la configuration de la pollution. « En commençant par classer la côte algérienne en fonction de sa vulnérabilité, souligne-t-il. Imaginons qu'un accident survienne au large de Skikda. On peut très bien envisager que la zone côtière d'El Kala soit menacée car il y a un risque que la nappe aille dans cette direction, sous l'effet des courants marins à dominance nord-ouest. La mobilisation de moyens aériens, l'utilisation de l'imagerie satellitaire sont des éléments indispensables pour une évaluation rapide et urgente de l'ampleur et des risques potentiels de la nappe. Il est extrêmement urgent d'effectuer une intervention hiérarchisée pour les sites vulnérables, de façon à mobiliser les ressources humaines et les équipements en cas d'intervention d'urgence sur ces sites en premier lieu. « Mais là aussi, d'autres question se posent : avons-nous suffisamment investi dans la formation des divers acteurs des plans d'intervention d'urgence ? Et si nous n'en avons pas beaucoup, quelles sont les priorités ?, avance-t-il. Si on sait que la nappe arrivera sur une ferme aquacole dans dix heures ou sur une zone à herbier de Posidonie dans cinq heures, ou encore sur une zone de pêche très fréquentée, au niveau d'un site classé, ou tout simplement sur un site touristique à forte fréquentation, quelle est la stratégie à favoriser ? Quelle échelle du plan Telbahr doit être activée si la pollution se déclare par exemple à Skikda ? Le plan de wilaya, régional ou national ? » Un exercice de simulation intégrant à la fois les cas de dépollution et de sauvetage a été mis en œuvre début mai au large des côtes de la wilaya de Béjaïa. La Marine nationale, la Protection civile, la Gendarmerie nationale, la Sûreté de wilaya, la direction de l'environnement, les autorités portuaires et la STH (Société d'exploitation et de gestion des travaux marins et d'hydrocarbures) ont mis en scène un scénario catastrophique. Un navire transportant par mauvais temps des produits dangereux se trouve en difficulté, en bute à une inclinaison de 30 degrés qui provoque un ripage de sa cargaison dont un conteneur, chargé de produits chimiques dangereux, tombe à l'eau et dérive rapidement vers les plages de la ville de Tichy. Le produit en question est supposé être du tétrachlorure de carbone. Pour corser le tout, il est supposé que, par peur, trois membres de l'équipage se jettent avec des bouées dans l'eau, déjà souillée avec une nappe de fuel formée tout autour du navire. « Les experts sont d'accord pour dire que ce type d'exercice est aussi indispensable qu'utile, résume un intervenant dans les hydrocarbures. Mais après ? Là est tout le problème. C'est vrai, il y a une volonté de faire quelque chose, que ce soit au niveau de l'Etat comme des sociétés pétrolières, mais pour l'instant, rien de concret ni d'efficacement organisé. Or, on ne dira jamais assez combien la situation est urgente... »