L'écrivain Yasmina Khadra évoque, dans cet entretien, les repérages qu'effectue Alexandre Arcady à El Maleh dans l'Oranie pour l'adaptation de son roman Ce que le jour doit à la nuit, en compagnie de la ministre du gouvernement français, Fadéla Amara, et d'un grand nombre de journalistes français. Liberté : Une importante délégation de journalistes français, entourant Mme Fadéla Amara, ministre au gouvernement français, et Alexandre Arcady, vous a accompagné à Oran. Pourriez-vous nous préciser le but de cet évènement ? Yasmina Khadra : D'abord, la nécessité de combattre les clichés qui font passer notre pays, l'Algérie, pour un territoire non fréquentable. Il est grand temps de rendre à l'Algérie un peu de sa superbe, de prouver qu'elle existe autrement, que ses rêves et ses chances de rebondir sont intacts. Je n'avais pas besoin de dresser de tableau. Les journalistes (une vingtaine dont 7 télés) l'ont constaté de visu. Sans interprètes ni guides. Ils ont été agréablement surpris de découvrir un peuple débonnaire, accueillant et attachant, qui n'a rien à voir avec l'image que colportent les médias et certains discours insidieux. Notre pays se relève de sa convalescence et continue d'espérer. Il n'a pas baissé les bras. Des réalisations titanesques se déploient tous azimuts (routes, hôpitaux, villes, etc.), des choses sont en train de se mettre en place et l'espoir reste permis. Et puis, l'Algérien, toujours debout malgré tant d'infortunes, toujours généreux et attentif aux convulsions du monde. C'est très important, pour nous, d'oublier un instant nos défauts et de donner libre cours aux cris de nos potentialités. C'est impératif, si nous voulons nous soustraire aux camisoles du renoncement. Nos enfants s'impatientent. Ils attendent, exigent de nous un peu de retenue et un maximum de responsabilité. Notre séjour à Oran et à El Maleh (Rio Salado) a été une parfaite réussite. Mme Fadéla Amara était sur un nuage. Elle me confiait combien les Algériens sont impressionnants. Ni obséquiosité ni servilité, juste un sourire bienveillant et une poignée de main chaleureuse et sincère. Quant à Alexandre Arcady, il était redevenu l'enfant de La Casbah, heureux et fier de retrouver ses racines. Moi, j'étais doublement ravi. Pour la joie des autres et la mienne. Je voudrais remercier messieurs les walis d'Oran et d'Aïn Témouchent qui n'ont ménagé aucun effort pour permettre aux journalistes français de travailler dans les meilleures conditions, le maire d'El Maleh pour sa disponibilité et son engagement exceptionnels, les autorités locales et le service de sécurité qui ont fait montre d'un professionnalisme exemplaire, avec chapeau bas à Bachir Derraïs qui a excellé en matière d'organisation. Sont-ce là des fleurs ? Qu'importe. Il faut savoir rendre hommage à ceux qui le méritent, et ces personnes ont été remarquables. Sans oublier notre ministre de la Communication, M. Azzedine Mihoubi, qui a suivi attentivement tous nos déplacements, et la présidence de la République pour son soutien. Comme je tiens à remercier les journalistes algériens présents, en particulier le quotidien El Adjwaa pour son hospitalité, et Liberté pour son importante couverture tout au long de cette belle aventure. C'était tout simplement fabuleux. Ensuite, ce déplacement entre dans le cadre des préparatifs concernant l'adaptation au grand et petit écran de mon dernier roman Ce que le jour doit à la nuit. Alexandre Arcady était là pour des repérages. Nous sommes allés sur les lieux des scènes importantes, à Oran et à Rio Salada, et Alexandre, qui avait déjà un plan de travail, n'a fait que valider sa feuille de route. Certaines scènes seront tournées dans les studios de Tarek Ben Ammar, à Tunis. Avez-vous déjà une idée sur le casting ? Je n'ai pas l'habitude de m'immiscer dans les affaires des réalisateurs. Je crois qu'Alexandre a ses idées, pas encore arrêtées, mais orientées. Le problème, c'est Younès. Il cherche encore après ce bel Algérien aux yeux bleus. Au fil des discussions, deux noms reviennent dans les confidences: Isabelle Adjani, qui a lu le roman et l'a défendu dans la presse. Elle souhaiterait jouer dans le film. Dans le rôle de Madame Cazenave. J'en serais heureux. Je suis sûr qu'elle apporterait énormément au film et se donnerait en entier à l'idée de se produire dans son propre pays. Et Roschdy Zem, dans le rôle de Mahi, l'oncle de Younès. Mais Alexandre a tout le temps pour réfléchir à la portée qu'il voudrait donner à son projet. Le tournage débutera vers le printemps 2010, ce qui lui laisse une confortable marge de manœuvre. Cette délégation a-t-elle été actionnée par les présidences algérienne et française ? Non. C'est une opération totalement prise en charge par les financiers du film, à savoir France Télévisions dont France 2 a couvert considérablement notre séjour pour son JT, Orange Télévision dont la directrice Frédérique Dumas a tenu à être présente à Oran et El Maleh, Canal Plus, la compagnie aérienne Aigle Azur, l'hôtel Sheraton Oran, les boîtes de production Alexandre films et La Source de Bachir Derraïs, qui est le producteur exécutif de Ce que le jour doit à la nuit. Cependant, la présence de la ministre Fadéla Amara est un signe fort de l'intérêt que porte M. Nicolas Sarkozy à l'adaptation cinématographique de mon roman qu'il a eu la gentillesse de lire et de me dire combien il l'a apprécié. Je pense qu'il s'agit-là d'un pas extrêmement encourageant pour consolider davantage, via la culture, les rapports entre nos deux pays. Mon roman a réussi à réconcilier les pieds-noirs avec leur patrie, supplantant les traumatismes historiques et les rancœurs de l'exil. Je suis très fier d'avoir contribué, ne serait-ce que modestement, à assainir certains horizons et à cautériser certaines blessures. Il reste beaucoup de choses à faire, et c'est bien de commencer tout de suite. N'y a-t-il pas un risque de récupération politique ? Je pense que la sérénité est de mise. Il ne faut pas confondre enthousiasme et récupération. La politique n'a pas besoin de notre démarche. Bien au contraire, la sincérité de son intérêt pour notre projet est évidente. Il s'agit d'un élan culturel, rien de plus ; de la rencontre de deux fils de l'Algérie, l'un cinéaste, l'autre écrivain, dont les efforts se rejoignent pour dire l'Algérie que nous aimons avec la même passion et les mêmes prières. Si les deux présidences veulent nous apporter leur soutien, ce serait un honneur pour nous. Personnellement, cela ne m'effraie aucunement. Quand on sait qui on est, on sait ce qu'on fait. Pour Alexandre Arcady, c'est la même chose. Une initiative heureuse est une initiative louable, et tous ceux qui tentent de la porter et de l'accompagner sont les bienvenus. La paranoïa ne doit pas fausser toutes les contributions. Je suis Algérien, j'appartiens à une République, je n'ai pas le droit de douter de la bonne foi des miens et je n'ai pas la prétention de vouloir faire cavalier seul. En ai-je les moyens ? Serais-je aussi arrogant ? Je suis quelqu'un de très simple. J'accepte toutes les mains tendues, puisque la mienne n'a jamais cessé de l'être. La culture n'est pas un but, elle est la case départ de toutes les espérances. Elle est le réceptacle de notre générosité et l'urne funéraire de nos démons. Sans elle, la société n'a ni repères ni salut. Ainsi les Hommes accèdent à leur humanité. Je n'ai jamais perdu de vue les chances de mon pays. Dès qu'il m'est possible d'en saisir une, je ne me retiens plus. Ma force vient de mon refus de céder, de mon refus de croire que tout est perdu. L'Algérie va s'en sortir. Ses premiers pas pourraient sembler incertains, après tant de drames et d'effroi, mais son cœur bat la mesure de l'ensemble de ses bonnes volontés. Les journalistes français présents à Oran l'ont constaté. Au boulot, maintenant. Que celui qui a une pierre à apporter à l'édifice passe à l'action. J'essaye de le faire de mon côté. Le talent algérien a trop attendu. J'espère que son audience va s'élargir. Il n'est pas question de sombrer dans l'angélisme béat. Etre heureux ne signifie pas être isolé. Et la joie ne constitue plus une indécence. Elle n'est que la preuve que l'Algérie renaît. Pour ma part, je la perçois comme le couronnement des sacrifices consentis. J'ai prié pour un soupçon d'éclaircie, je ne vais pas snober le soleil qui se lève sur nos nuits. Espérer est un droit, s'impliquer est un devoir. R. C.