Finalement, tout est question de perspective en architecture quand le virtuel est une vérité d'épure. Ainsi, lorsqu'on arrive à El Ançor par la petite départementale qui monte de la plage des Andalouses, l'illusion d'optique et telle qu'on a l'impression que ce bourg niché au pied de la montagne n'est qu'un vulgaire décor en carton pâte pour les besoins d'un film. Le trompe-l'œil est si saisissant que la façade de la mairie dont on ne voit ni l'arrière plan ni le toit d'ardoise a l'air d'un faux panneau de studio pour production à grand budget. Qu'on se rassure, on n'a jamais rien tourné dans ce village, sauf quelques fellahs en bourrique… Tout est vrai dans ce hameau. Ses maisons, ses veilles pierres, ses échoppes d'un autre âge, sa place centrale et ses quatre statues en stuc d'une émouvante naïveté. Naïveté, c'est peut-être le mot-clef dans ce grand douar où les anciens ont tous été pétris dans la crainte des colons et des saints. Ici, par exemple, on a toujours respecté monsieur “Gomiz” (Gomez) dont le territoire s'étendait jusqu'à Madagh. De père en fils, on a convenablement honoré la mémoire de Sidi Mohamed dont le mausolée érigé près de la berge attirait tout le Landernau du littoral. D'ailleurs, pour le différencier d'un autre saint en amont de l'agglomération et qui lui aussi s'appelle Sidi Mohamed, les fidèles lui donnèrent le surnom d'“El-Bahri”, en référence à sa proximité avec la mer. Des lors, personne ne pouvait se tromper de marabout : le premier juché sur le versant du djebel était Sidi Mohamed et le second au bord de l'eau, donc en aval, ne pouvait être que Sidi Mohamed bis dit “El-Bahri”. Deux saints aux noms identiques et pour une même agglomération n'était pas banal, la chose aurait dû normalement alerter les ouailles Il n'en fut rien, jusqu'au jour où, pour les besoins du complexe touristique, l'on décidera de transférer le mausolée de Sidi Mohamed El-Bahri beaucoup plus loin. Quelle ne fut la surprise des fossoyeurs de découvrir que le tombeau était vide et qu'il ne contenait aucun reste. La pilule était amère. Ce saint n'a jamais existé, c'était un faux. Un faux fabriqué par des colons pour faire peur aux indigènes et les obliger à cesser leurs larcins. Et l'autre marabout alors, tout en haut du village ? Le saint homme a bel et bien existé : c'est la vérité des aïeux contre laquelle le mensonge ne peut avoir de prise.