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À l'est, l'éden
Kristel
Publié dans Liberté le 23 - 08 - 2005

À une heure de route du Sheraton, construit et monté comme un vaisseau amiral, l'horloge retarde d'un siècle.
Si dans quelques jours, ce Titanic de la gastronomie de luxe fera couler des icebergs dans une mer de whisky pour fêter son ouverture et prendre le large, le village de Kristel, à 40 km d'Oran, lui n'arrive même pas à prendre l'eau et encore moins à mouiller sa coque. Brisé par les récifs de la misère et l'indifférence des hommes, il est aujourd'hui cloué sur la grève, rongé par les ronces, le lychen et le chiendent. Sitôt que l'on contourne l'hôtel par les falaises en direction de l'est, l'anarchie du béton de part et d'autre de la départementale prend des contours surréalistes.
C'est le règne de la saleté, des maisons cubiques et du mauvais goût. L'ilôt de Canastel est noyé sous le parpaing et Fernandville est saturée par les tracteurs et les camions-citernes de toutes sortes. Les uns en panne, les autres en réparation.
Un tagueur anonyme a écrit sur le mur de la dernière maison du village : “Elus nuls, que des promesses”. Nous quittons ce souk sans regret. Une route cabossée et défoncée descend alors brusquement en lacets. Elle est si étroite que trois mulets qui avancent côte à côte n'y tiendraient pas. La dernière fois que les cantonniers ont passé du bitume sur cette chaussée de la façade maritime de la montagne des lions... le dernier fauve devait encore rugir dans la forêt. Pour la petite histoire, des colons excédés par ces prédateurs qui menaçaient leur sécurité, organisèrent en 1904 une battue, ici même, et mirent aussi fin à la présence de l'ultime félin d'Afrique du Nord. Mais, peuchère, que restera-t-il au tableau de chasse de Tartarin venu spécialement de Tarascon traquer le lion à Blida ? Rien, sinon quelques vieux singes de la Chiffa. À force de virages, cette forêt finit par nous donner le tournis. Aucun pré, aucun enclos, aucune fleur pour trancher dans ce paysage pingre et rabougri. Des pinèdes, seulement des pinèdes à perte vue.
Et surtout une forte odeur de résine qui flotte dans l'air. Dans cette campagne du bout du monde, vous n'entendrez pas le moindre murmure du vent ou le moindre bruissement de feuilles, pas même le plus petit gazouillis d'oiseaux. Le silence est sépulcral. Des peupliers centenaires vous bouchent l'horizon à droite et une baie magnifique vous laisse sans voix à gauche. Une multitude de calanques et de criques sauvages se succèdent le long d'une berge paresseuse. L'eau est si pure et d'un bleu si intense qu'on a presque envie de la boire. À pleines mains.
Ni jet-ski surfant au-dessus des vagues, ni blonde dorant son corps d'albâtre sur le sable fripé de cette demi-saison, rien de tout cela. Nous sommes sous d'autres tropiques. Les riverains sont des gens très pauvres et très humbles et puritains par nature. Ce sont des paysans, des ouvriers, des jardiniers ou des sourciers... du cru.
L'eau, en effet, regorge dans ces maquis, abonde sous la roche, sourde dans les taillis, coule des montagnes et éclate en petits ruisseaux. On est loin de la côte friquée et corrompue de l'Ouest, des plages prétentieuses de la corniche, bon chic bon genre, label Andalouses. L'eden, assurément est à l'est d'Oran. C'est si vrai que les “fréros” du landernau prendront l'habitude de venir s'y baigner discrètement. Entre eux.
Pas question de mélanger les serviettes de la sunna avec les torchons des impies. Leur abri a un nom : génie. Et plus si affinités.
Le kamis léger et la barbe fleurie comme un bulletin d'avril, ils taquineront eux aussi la vague. Mais loin des regards mécréants. Les mécréants et autres “taghout” du lumpum prolétariat qui viennent généralement du douar ont aussi leur abri. Il n'a pas de nom. Ou si. Certains l'appellent Aïn El Hamia parce qu'une eau sulfureuse et chaude, médicalement très conseillée, descend de la montagne et s'arrête à dix mètres net de leurs têtes sur les premiers contreforts. Elle aurait des propriétés dermatologiques miraculeuses. On raconte qu'un certain Youb, affectueusement surnommé “Dada Youb”, à cause de son grand âge avait eu l'idée de canaliser cette eau dans un grand bassin pour permettre à tous les malades de la peau de venir en cure. Rien n'a changé depuis. Sinon le propriétaire. Le bassin est un peu plus symétrique et les latrines sont toujours turques. La tête du patron aussi. Il a toujours refusé de déserter de son poste quand les terroristes ont investi le terrain et que les fermiers de la région ont mis les voiles se calfeutrant qui, chez un cousin, qui chez un beau-frère. “Il n'y avait pas une chouette”, nous dira le cafetier de la plage. Un bien grand mot pour une crique sommaire de 50 mètres carrés de sable où les “apostats” s'entassent pêle-mêle, à la bonne franquette, entre couples ou entre familles. Ce n'était pas le cas il y a quelques années. Les groupes armés qui considéraient la région comme une zone de repli avaient littéralement vidé le littoral comme on vide une huître.
Chalets, bungalows et résidences secondaires de Aïn Fremir, tout a été détruit, pillé, cassé et à l'état de ruine aujourd'hui. Même les sangliers qui, pourtant, se reproduisent à la cadence des lapins, n'osent plus sortir leur museau des fourrés.
Seul le Petit Chalet, un restaurant en bordure de route, a repris du service. De toute évidence... ce n'est pas le gibier qui manque... Après 10 ans de fermeture, le courageux chef rallume de nouveau ses fourneaux. Mais pour qui ? Les touristes ? Il n'y en a pas. Les Kristélis ? Ils ont à peine de quoi vivre. Ils sont tous pêcheurs, agriculteurs ou commerçants. Et pour vendre quoi ? Devinez ? Les produits de l'agriculture ou les produits de la pêche ! ... Et la boucle est bouclée. Pas étonnant que le nom de Kristel que l'usure a contracté, dérive en réalité de l'expression originelle “Kerch Ettel” (le ventre du Tell). Et en fait, de ventre, le hameau a toujours nourri les bedaines du littoral et du Sahel en fruits, légumes et poissons. Leur qualité s'est tout de suite imposée à leurs assiettes. Salades frisées, radis, piments, petits pois, persil arrosés à l'eau douce sur des potages rassasiés de soleil étaient cueillis pour les clients aux aurores, en même temps que la rosée. Voilà qui explique le succès de la griffe Kristel qui fait courir les Oranais et leurs couffins tous les week-ends. On dit que le bey Bouchlaghem, fasciné par les jardins suspendus de la cité, y fera régulièrement son marché.
En 1794, le commandant de la garnison espagnole qui occupait la place d'Oran, louchait déjà vers ces maraîchages. Pour des raisons de logistique et de ravitaillement des troupes, bien entendu. Il est clair que la seule et véritable richesse de ce port planté dans la roche de la sierra arzewienne, reste son eau. Une denrée chiche par les temps qui courent et une bénédiction. Les anciens l'avaient parfaitement compris. Pour garder intacte la douceur de cette eau et en faire profiter la population gratuitement, ils raccordèrent à la source principale une canalisation en dur qui débouchait droit sur deux bassins, au beau milieu de la place centrale. Rien à cacher pour les chouyoukh. Tout dans la transparence.
Les pères fondateurs qui n'étaient pas à court d'idées emplirent le premier déversoir d'une dizaine d'anguilles, jeunes et robustes. Pas pour décorer l'aquarium mais parce qu'ils savaient par expérience que ces poissons se nourrissaient exclusivement des impuretés de l'eau. “C'est un peu nos femmes de ménage”, plaisantera un homme dans la foule. “Elles jouent pour nous le rôle de filtre naturel.” Un badaud, qui assistait à la discussion avertit sur le ton de la plaisanterie : “ L'étranger reste le bienvenu, à condition qu'il ne tripote pas nos anguilles. Vous voyez ce petit troupeau, elles ne sont que trois aujourd'hui. Elles étaient sept. La plus vieille d'entre elles, sans doute leur grand-mère, est morte il y a deux mois. Deux ou trois autres ont été bouffées par les rats. On a beau répandre des insecticides, en vain.” Il n'avait pas terminé sa phrase qu'une nuée de gamins, sortis on ne sait d'où, nous bouscula avec une joyeuse insouciance comme s'ils sortaient en récréation. C'est la corvée d'eau. Tout le village vient y faire son plein. Le second déversoir, dont l'eau est beaucoup moins pure, est traditionnellement destinée à l'alimentation des vergers et à la propreté des légumes qui seront expédiés au marché des halles centrales, à l'aube. Une petite chambre pour les ablutions des fidèles termine enfin le petit complexe hydraulique.
D'où le double nom que les habitants ont donné à leur place : “moutahara” (la purificatrice) et “cerbah” en hommage au travail de fourmi... de l'anguille. Et c'est là encore, autour de ce totem du sourcier que les petits fellahs se rassemblent chaque matin pour discuter, échanger des astuces ou écouler leurs produits. Tout près de l'eau. Pas loin de sa source... Beaucoup de chômeurs également, car Kristel n'a rien à offrir à ses enfants. Sinon le large pour ceux qui peuvent émigrer, ou la haute mer pour ceux qui ont les moyens modernes de pêcher grand. Même ici, par plusieurs mètres de fond... un lac d'eau douce pétille près du cap d'anguilles par où seront piégées les bonites.
Coincé entre le rivage et la montagne, la tête dans les nuages, Kristel est aujourd'hui sur une sphère hors du temps, loin des sirènes de la tentation et des méduses de la perdition. Le village est resté tel quel ou presque. Livré à son propre sort. Pas d'antenne communale.
Pour le moindre extrait d'état civil, il faut se déplacer à Gdyel. Il y a quelques années, le village n'avait même pas d'ambulance. Crevait qui voulait, heureusement que la solidarité populaire a joué. Kristel, au fond, n'est qu'un bric-à-brac de maisons entassées les unes sur les autres. On se croirait à Tolède ou a Saragosse à l'époque de la conquista et on se surprend même à voir débouler d'un instant à l'autre, la royale calèche du bey et sa garde rapprochée, ou une escouade de caballeros en mission pour Sa très catholique Majesté de Madrid… Enclavés par le relief, déshérités par la nature et abandonnés par les pouvoirs publics, les Kristélis n'ont eu d'autre choix que de se replier sur eux-mêmes et de suivre à la lettre la tradition des anciens. Ainsi, grâce à un système de foggaras mis au point par les patriarches, l'eau de “cerbah” est équitablement distribuée par rotations alternatives à chaque exploitant agricole en fonction de la superficie de son lopin. Ils sont onze et le chiffre n'a jamais varié, car la terre se transmet dans cette bourgade de génération en génération sans changer de main. Avec la faune aussi, les Kristélis ont tissé des relations particulières et priviligiées. D'abord avec les anguilles comme on vient de le voir. Ensuite avec les lions. Contrairement à l'image violente du prédateur qui se repaît dans la savane d'une gazelle par jour et que nous renvoie la télé, le roi de la montagne a bel et bien été domestiqué à Kristel. Un certain cheikh Saber aurait même utilisé l'un d'eux comme… bourricot, pour le transport de son bois !
Les Kristélis qui ont été de grands éleveurs de bovins au siècle dernier ont néanmoins gardé un respect particulier pour le bœuf. Le bœuf de Sidi Moussa, par exemple, l'un des sept patrons du bourg, est sanglé, harnaché et “maquillé” chaque année au cours d'une grande fête et promené à travers toutes les rues. Les enfants s'amusent, les pèlerins sont aux anges mais le bonheur n'est pas encore dans le pré. La vérité est ailleurs. Dans la volonté politique de l'Etat, on parle de réaliser un port de plaisance à Cap-Rousso, pour milliardaires en goguette, d'un port de pêche à Kristel qui alignerait 40 embarcations sur le quai. D'un seul trait…
Une pluie de dinars s'apprête donc à tomber sur la cité. Mais ce déluge de milliards sauvera-t-il pour autant l'arche de Noé ? En supposant qu'on veuille bien, là-haut, ouvrir sérieusement les robinets du trésor ?
“Elus nuls, que des promesses”, rappelait tout à l'heure l'énigmatique tager aux passants.
Mais, au fait, à qui s'adressait-il ?
M. M.


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