Le Quai d'Orsay vient, de nouveau, ajouter une couche au doute qui entoure la visite officielle que devrait effectuer le président Bouteflika à Paris. “Aucune date n'a été fixée pour cette visite, même si le mois de juin a été avancé. Nous travaillons avec les autorités algériennes à sa préparation”, avait affirmé Eric Chevallier, le porte-parole du Quai d'Orsay, jeudi. La veille, le secrétaire d'Etat français à la Défense, Jean-Marie Bockel, en visite à Alger, avait affirmé que la France est “très en attente” d'accueillir en France le président Abdelaziz Bouteflika “comme il le mérite”. M. Bockel a indiqué avoir également évoqué cette visite, dans la matinée, avec le président Nicolas Sarkozy, à l'issue du Conseil des ministres, précisant qu'il restait du travail à faire et des sujets à approfondir dans tous les domaines, notamment économique et ceux de la mémoire et de la défense. M. Bouteflika a accepté le principe d'une invitation à se rendre en France en visite d'Etat, invitation lancée par son homologue français Nicolas Sarkozy, avait déclaré fin avril M. Medelci. L'ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt, avait précisé à ce moment-là qu'une invitation à se rendre en juin à Paris avait été transmise au Président algérien qui vient d'être réélu pour un troisième mandat. M. Sarkozy a effectué en décembre 2007 une visite officielle en Algérie. La dernière sortie ambiguë du porte-parole du Quai d'Orsay pose la lancinante question de savoir si, finalement, Bouteflika ira à Paris ou pas. Mais au-delà de cette question, il est à se demander pourquoi cette visite officielle est-elle si difficile à mettre en place ? Il y a lieu de replacer cette visite dans son contexte véritable pour essayer de comprendre ses difficultés et ses enjeux. Faut-il rappeler que la réélection, en avril dernier, d'Abdelaziz Bouteflika, a été rapidement saluée “chaleureusement” par le président Sarkozy. Mais cette réélection a été également suivie d'un déchaînement d'une partie de la presse française contre la reconduction de Bouteflika à la tête de l'Etat algérien. Ce déchaînement a été mal apprécié à Alger. Sur le plan économique, les choses ne semblent pas aller dans le bon sens. La dernière mesure du Premier ministre Ahmed Ouyahia n'a pas été du goût des entreprises françaises, dont certaines ont plié bagage, à l'image de Bouygues, alors que d'autres menacent de le faire. Il est clair que la démarche protectionniste du gouvernement algérien irrite les entreprises françaises. Mais cela ne constitue que la partie visible de l'iceberg. Bouteflika n'ira pas les mains vides à Paris et n'y reviendra pas bredouille. Ni lui et encore moins Sarkozy n'ont intérêt à ce que cette visite soit un non-événement. Qu'apportera Bouteflika concrètement dans ses valises ? Il y a des projets de centrales électriques que les entreprises françaises devraient construire. Il y a toujours le projet de centrale nucléaire où les Français sont en concurrence avec les Américains. On peut citer également le projet d'achat de frégates pour la Marine algérienne où les Français sont en concurrence avec les Hollandais, les Indiens et les Russes. Il y a surtout le renouvellement en cours de la flotte d'Air Algérie où Airbus est en concurrence avec Boeing. Le tout constitue un sacré paquet de contrats dont le président Sarkozy a grandement besoin pour redorer son blason, surtout en France. Il y a lieu de rappeler que c'est sous l'impulsion de Sarkozy, alors ministre des Finances, qu'Alstom a décroché un important contrat en Algérie, ce qui lui avait valu, tout bonnement, sa survie. Sur le plan politique, les choses semblent se présenter sous de meilleurs auspices. Sarkozy a été l'un des premiers à avoir salué chaleureusement la réélection de Bouteflika, contrairement à un Obama dont la réaction a été jugée tiède à Alger. Toutefois, il reste à gérer le contentieux historique entre les deux pays. Bouteflika a, certes, cautionné, après moult hésitations, la création de l'UPM. Il a, en outre, tenu un discours réconciliant à l'occasion de la célébration des massacres du 8 Mai 1945. Et, du côté français, il y a eu la toute récente déclaration de Bockel. Les deux pays coopèrent, de façon exemplaire, dans la lutte antiterroriste. Mais des affaires pendantes empoisonnent toujours les relations bilatérales et il est difficile, parfois, d'en comprendre les enjeux, comme ce fut le cas avec l'affaire du diplomate algérien Mohamed Ziane Hasseni, dont la mise sous contrôle judiciaire a duré plus de 6 mois, ou encore l'affaire Scharbook, qui voit les deux parties camper sur leurs positions. En tout état de cause, et même si les indicateurs restent au vert, la visite d'Etat que devrait effectuer Bouteflika demeure une visite “difficile”. Cela paraît illogique, mais cela pose la question de savoir s'il existe, en France, un lobby contre le rapprochement algéro-français. Les pieds-noirs, l'extrême droite et les harkis ont de tout temps exprimé leurs appréhensions quant à un tel rapprochement. Ils pourraient peser dans la balance, mais pas au point de dicter au président Sarkozy sa conduite. Comme ce fut le cas pour ses relations avec la Chine, où il avait subi une salve de critiques, le président français avait su t0irer son épingle du jeu, en jouant à fond la carte du pragmatisme, qui lui aura valu la signature de contrats mirobolants.