En octobre prochain, l'Unesco “risque” d'avoir, pour la première fois de son histoire, un directeur général arabe en la personne de Farouk Hosni, l'actuel ministre égyptien de la Culture. Une candidature qui a officiellement le soutien des pays arabes (dont l'Algérie) et africains. Cependant, s'il est le candidat le plus sérieux pour remplacer le Japonais, l'enfant du pays des Pyramides se retrouve devant une grande campagne menée par ses adversaires déclarés ou “cachés”. Un Algérien semble jouer sous les “couleurs” du clan anti-Hosni et en cas de défaite de ce dernier, notre compatriote y aura joué un grand rôle et cela au détriment de la position officielle du pays. Il s'agit ni plus ni moins que de l'ex-président du Conseil constitutionnel et ex-ministre des Affaires étrangères, Mohamed Bedjaoui, dont le CV ferait pâlir même les plus grosses “pointures” diplomatiques du monde. Entre la Cour internationale et la rue Miollis Lorsqu'elle a été diffusée en février dernier, l'annonce de la candidature de Bedjaoui pour l'élection d'octobre prochain avait fait sensation. La grande “anomalie” résidait surtout – puisque l'Algérie a officiellement opté pour une candidature arabe unique – dans le fait que l'intéressé représentera… le Cambodge. Une surprise de taille étant donné la renommée de Bedjaoui. Certains ont expliqué son attitude comme une réaction, une sorte de “candidature par dépit”. Les dernières péripéties qu'aurait vécues Bedjaoui seraient derrière sa décision. Juste après avoir quitté le gouvernement en 2006 (il était ministre des AE), il a été désigné comme ministre conseiller auprès de l'ambassade d'Algérie à Paris. Un poste qu'il aurait perdu il y a environ six mois. Une information confirmée de sources sûres qui ajoutent que le “divorce” d'avec les autorités algériennes a été “consommé” il y a une quinzaine de jours, après qu'on lui eut demandé de remettre la voiture de service, ainsi que les clés de l'appartement de fonction (à Paris) qu'il occupait ! Reste la question du choix du Cambodge. Selon toute vraisemblance, c'est à cause des relations très étroites que Bedjaoui (notons qu'il aura en septembre prochain 80 ans) a, depuis plusieurs années, de très bons rapports avec les dirigeants de ce pays asiatique. Précisément, depuis qu'il était à la tête de la Cour international de justice. À l'époque, il avait instruit le procès des Khmers rouges. On lui “reproche” aussi le fait d'avoir ouvertement privilégié (au détriment de plusieurs autres pays dont la Thaïlande) l'inscription des sites cambodgiens sur la liste du patrimoine universel quand il était membre du Comité du patrimoine mondial. Concernant sa candidature, nos sources indiquent qu'elle a été déposée il y a plusieurs mois sur le bureau du Conseil exécutif de l'Unesco dont le siège se trouve à Paris (7, place Fontenoy, dans le 7e arrondissement). Les mêmes sources ajoutent que l'ambassadeur du Cambodge avait lui-même confirmé cette candidature lors de la réunion des ambassadeurs du groupe des non-alignés auprès de l'Unesco qui s'était déroulée au début du mois de mars. Il y a aussi les nombreux articles de presse qui sont venus confirmer cette information. Les mêmes sources précisent que ces derniers temps, le concerné se déplace régulièrement au siège de la délégation algérienne (1, rue Miollis, dans le 15e arrondissement) d'où il tient sur place des réunions de campagne avec certains membres. Il faut rappeler que Bedjaoui connaît bien la maison. Entre 1971 et 1977, il a été délégué permanent auprès de l'Unesco ; entre 2001 et 2005 : membre du Conseil exécutif de l'Unesco ; entre 2001 et 2003 : président du groupe d'experts de l'Unesco pour l'élaboration d'une convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel ; en 2003 : président de la commission juridique de la conférence générale de l'Unesco et en 2004 : président de la commission financière et administrative de l'Unesco. C'est dire que les rouages de l'Unesco ne peuvent lui échapper. Pour connaître la version du ministère algérien des Affaires étrangères, nous avons pris attache avec la cellule de communication. La seule réaction qu'on a obtenue était que “le soutien de l'Algérie au candidat de l'Egypte a été octroyé lors des réunions de l'Union africaine et de la Ligue arabe”, sans rien ajouter sur le “cas” de Bedjaoui. D'autres sources diplomatiques nous ont confirmé que “l'Algérie, dans un souci de position commune d'unité arabe, soutient au plus haut niveau la candidature de l'Egyptien”. En plus d'être mal appréciée par les autorités algériennes, son attitude a aussi suscité l'ire des représentants des délégations arabes. À tel point que, dernièrement, l'ambassadrice d'Egypte auprès de l'Unesco a demandé expressément à l'ambassadeur du Cambodge en France de lui envoyer une lettre pour officialiser la position du pays asiatique, et elle attend toujours. Les raisons réelles et “officielles” de la position de Bedjaoui sont jusqu'à maintenant inconnues. Le concerné n'a fait aucune déclaration pour confirmer ni infirmer tout ce qui se dit à son sujet. La dernière “preuve” est venue du directeur général adjoint, le Brésilien Marcio Barbosa. C'était le 16 mai dernier, sur les ondes de la radio Globo. Il avait déclaré à propos de la position des pays arabes pour les élections d'octobre : “Ils ont dit qu'il n'y a pas de signes de défection dans le groupe arabe, mais ils ont deux candidats, un Egyptien et un Algérien.” Et d'ajouter : “Une union arabe autour du candidat égyptien n'existe pas. Il existe, de même, un autre candidat de l'Algérie, qui est très compétent.” Barbosa à l'affût Ce Barbosa est considéré comme le véritable maître d'œuvre de toutes les manœuvres qui se déroulent dans les coulisses du siège de l'Unesco. Bras droit du Japonais Matsura (en poste depuis 10 ans), il n'a jamais caché ses intentions d'être le successeur de son ami. Il avait toujours espéré que son pays le propose comme candidat, et grande a été sa surprise en voyant le Brésil soutenir officiellement Farouk Hosni. N'ayant pu digérer cette “trahison”, il a tout fait pour déstabiliser le ministre égyptien et ses soutiens. Là consisterait la clé de “l'acte” de Bedjaoui qui ne serait autre que le cheval de Troie du Brésilien. Pour convaincre les autorités de son pays, en premier lieu le président Lula, Barbosa devait à tout prix démontrer qu'il n'y avait aucune unanimité des pays arabes sur une candidature unique. L'entrée en lice de notre ex-ministre des Affaires étrangères n'aurait ainsi comme objectif que de diviser les voix arabes. Le Brésilien, ne se contentant pas d'une “division” arabe, il l'a voulue africaine aussi. Deux candidats se sont affichés dernièrement, l'un Tanzanien et l'autre Béninois. Malgré ces plans, le Brésilien n'a pas réussi à infléchir la position des autorités brésiliennes, allant jusqu'à faire dire à son ministre des Affaires étrangères, Celso Amorim, que “Barbosa est le candidat de lui-même”. Un camouflet qui sonne aussi comme un grand soutien à l'Egyptien Farouk Hosni. Farouk Hosni, l'homme “providentiel” ! L'Egyptien peut se targuer de soutiens solides et confirmés. Le 23 octobre dernier, lors de la seconde conférence des ministres de la Culture des pays membres de l'UA qui s'est déroulée à Alger, tous les pays (40 y étaient présents) ont décidé de soutenir la candidature de Farouk Hosni au poste de directeur général de l'Unesco. Une autre confirmation africaine a été faite le 1er février dernier à Addis-Abeba (Ethiopie) lors du conseil exécutif de l'UA. Du côté arabe, l'appui des pays est survenu en septembre dernier, lors de la dernière assemblée générale de l'ONU à New York. Partant, avec ces appuis, le candidat égyptien avait une longueur d'avance sur les autres puisqu'il s'était ainsi assuré 20 voix sur les 58 possibles. Précisons que l'élection du directeur général de l'Unesco se déroule au niveau du conseil exécutif qui est composé de représentants de 58 pays (élus pour des mandats de 4 ans). Ces derniers sont répartis en 6 groupes. Le cinquième représente l'Afrique (13 sièges) et le sixième les pays arabes (7 sièges). À quelques jours de la date limite du dépôt des candidatures, il y a pas moins de 5 candidatures, en plus de celle de Bedjaoui : 3 d'Afrique (Egypte, Benin et Tanzanie) et 2 d'Europe (Lituanie et Bulgarie). Lors du dernier sommet qui vient de réunir (les 20 et 21 mai derniers) les ministres arabes et sud-américains de la Culture (Khalida Toumi était présente) à Rio de Janeiro, Farouk Hosni n'a pas hésité à afficher son “statut” en déclarant qu'il a d'ores et déjà 30 voix. La rencontre a été aussi une occasion pour les représentants des deux pays du troisième groupe (Amérique latine avec 10 sièges), Cuba et Chili, d'annoncer leur soutien à la candidature du ministre égyptien. Il en a profité pour affirmer qu'il s'était d'ores et déjà assuré 30 voix. Le lobby sioniste entre en lice Une assurance qui dérange plus d'un. Dès le lendemain des déclarations de Hosni à Rio de Janeiro, voilà que la machine médiatique du lobby sioniste se met en branle. Dans l'édition du 22 mai du quotidien français le Monde, une “opinion” très critique à l'encontre de Farouk Hosni a été publiée. Signée par le très médiatique trio : le philosophe Bernard Henri Levy, le directeur de la revue les Temps modernes, Claude Lanzman et Elie Weisel, écrivain et prix Nobel de la paix en 1986, et sous le titre provocateur de “Unesco : la honte d'un naufrage annoncé”, on peut y lire des critiques acerbes contre l'Egyptien qui est accusé rien de moins que d'antisémitisme (le trio fait sciemment l'amalgame avec l'antisionisme). Une aberration de poids lorsqu'on connaît le parcours de Farouk Hosni. D'ailleurs, le ministre est souvent critiqué par les islamistes égyptiens pour des positions qu'ils ont parfois considérées comme… pro-israéliennes. Malgré toutes ces entraves, Farouk Hosni semble serein et confiant quant à sa victoire dans moins de 5 mois. Il ne rate aucune occasion pour le déclarer, surtout que tout l'appareil étatique égyptien est derrière lui. Reste maintenant le concret. La vraie “bataille” débutera après le 31 mai. La realpolitik sera-t-elle cette fois du “bon” côté ? Portraits Farouk Abd El-Aziz Hosni âgé de 71 ans, il est né à Alexandrie (Egypte). Il est connu pour être un artiste peintre (diplômé de la faculté des Beaux-Arts d'Alexandrie en 1964). Jusqu'en 1971, il a été directeur du centre culturel d'Anfouchi à Alexandrie avant de rejoindre la France où il sera successivement attaché culturel à l'ambassade d'Egypte à Paris et directeur du centre culturel égyptien. Depuis 1987, il est ministre de la Culture égyptien. Mohamed Bedjaoui Il est né le 21 septembre 1929 à Sidi Bel-Abbès. Il est docteur en droit de l'université de Grenoble (1955) et diplômé de l'Institut d'études politiques de Grenoble (1952). Il a eu un long parcours diplomatique ponctué par plusieurs hautes fonctions dans des institutions nationales et internationales (CIJ, Unesco, etc.).