La plume fluide, honnête et alerte de Yussef Bazzi plonge le lecteur dans un contexte de guerre, et plus précisément la guerre civile du Liban. C'est une sorte d'autobiographie d'un enfant qui a connu le chaos trop tôt mais qui en est sorti indemne grâce à la poésie. Paru d'abord en France aux éditions Gallimard, Yasser Arafat m'a regardé et m'a souri, de Yussef Bazzi, est actuellement disponible en Algérie grâce aux éditions Chihab. En effet, ce livre est une véritable aubaine pour le lecteur algérien, qui pourra confronter son expérience chaotique des années 90 à celle du Liban. Invité, il y a quelques jours, par les éditions Chihab, Yussef Bazzi a animé une conférence au Centre culturel français d'Alger, ainsi qu'une autre, plus intimiste et conviviale, à l'espace Noun. Durant ces deux rencontres, et surtout la deuxième, Yussef Bazzi a évoqué son livre, mais également son pays, la poésie qui lui a sauvé la vie, la guerre. La guerre qui détruit tout, qui ravage tout sur son passage et qui fragmente l'esprit et les sociétés. Dans une grande simplicité, Yussef Bazzi a dispensé une grande leçon de courage et de sérénité. Dans son livre, de 127 pages, l'auteur raconte sa militarisation alors qu'il n'avait que 14 ans. En fait, Yussef Bazzi raconte comment il a rejoint la guerre et les milices du Parti social nationaliste syrien à Beyrouth, alors qu'il était encore un enfant. Tandis que ceux de son âge croquaient la vie à pleines dents, lui, s'engageait, entre 1981 et 1986, dans un conflit qui dépassait encore son entendement. Un enfant-soldat que les évènements ont contraint à grandir trop vite et à renoncer à son enfance. “Eté 1981. J'ai quatorze ans. Mahmoud al-Taqi inscrit mon nom dans le registre avant de m'accompagner au dépôt.” Cette phrase qui ouvre le récit plante directement le décor et place le lecteur dans le contexte froid et horrible de la guerre qui déshumanise tout. Mais ce qui a sauvé Youssef, l'adolescent, c'est justement son innocence et son humanité qu'il a réussi à garder grâce à ses lectures : la poésie. La lecture de ce récit, journal ou carnet de guerre — ce livre est tout à la fois parce qu'il ne s'enferme dans aucun genre, aucune forme et explose toutes les barrières — se fait très rapidement. On sent l'urgence, on sent également l'innocence, et bien qu'il ait quitté les forces armées en 1986, Yussef Bazzi a réussi à recréer l'état d'esprit de l'époque. Il y a une sorte d'intensité, émouvante et touchante à la fois, et par le biais de phrases courtes et concises, les mots “sont comme des rafales de mitraillettes”. Les mots de Yussef Bazzi sont transperçants par leur honnêteté et leur sincérité. Le lecteur est embarqué dans les aventures d'un enfant-soldat, doté d'un sens de l'observation très développé et d'une sensibilité particulière : une sensibilité de poète certainement. Toutefois, Youssef Bazzi n'était pas un bon soldat, son talent était ailleurs. Il écrit à la fin de son livre : “J'observe les immeubles et les rues. Un vieillard marche, un sac en plastique à la main. J'hésite. Je ne tire pas. Je ne suis pas un franc-tireur… J'arrive à Beyrouth. Je commence les révisions pour mon baccalauréat.” Un piètre tireur, mais un sacré poète. Et de la poésie, Yussef Bazzi écrira, jusqu'à ce livre qui porte un titre très particuliers : Yasser Arafat m'a regardé et m'a souri. Il y a bien évidemment une dimension politique, puisque Yasser Arafat représente un symbole de résistance ; mais il y a également une sorte d'ironie, suscitée par le mot sourire. Yasser Arafat m'a regardé et m'a souri se lit d'une seule traite ; cependant, son propos n'est pas aussi clair et évident qu'il en a l'air. Yasser Arafat m'a regardé et m'a souri, de Yussef Bazzi, 127 pages, éditions Chihab, Alger 2009.