Au quartier du Ruisseau, à Alger, vivait au XIXe siècle une jeune veuve avec deux enfants en bas âge. Par une journée printanière, elle décida de les emmener en pique-nique dans la forêt située non loin de son quartier (vers Oued Kniss, comme on l'appelle aujourd'hui). Cette forêt fortement boisée présente des pentes abruptes, des sentiers étroits et des ravins dangereux. Il faut être extrêmement prudent pour éviter de tomber dans une de ces crevasses. Après le repas, les enfants décident de faire des galipettes. Ils s'élancent dans le bois, insouciants et heureux. Ils n'entendent pas les recommandations de leur mère qui leur crie d'être prudents. Soudain, la jeune maman ne les voit plus. Au début, elle pense que cela fait partie du jeu, mais, rapidement, elle doit se rendre à l'évidence : ses enfants, la prunelle de ses yeux, la chair de sa chair, ont disparu. Ils ont dû tomber dans l'un des ravins. Elle les cherche désespérément, puis court prévenir ses voisins. La forêt est passée au peigne fin, mais en vain. Folle de douleur, la pauvre veuve décide de poursuivre ses recherches seule. La nuit tombe, mais elle ne rentre pas chez elle, ni les jours suivants d'ailleurs. Les semaines, puis les mois et les années s'écoulent. La mère, éplorée, erre en haillons, comme une âme en peine. Elle a complètement perdu la raison. De temps en temps, des promeneurs de passage surprennent une ombre furtive. Ils entendent des pas, découvrent des empreintes et sentent une étrange présence. La nuit, des hurlements de douleur déchirent le silence de cette paisible forêt. Un jour, le corps de “la femme sauvage”, comme on l'appellera désormais, sera retrouvé entre les buissons. Le cadavre sera enterré sur place. Depuis, cet endroit est désigné par “le Ravin de la femme sauvage”. Nadia Arezki [email protected]