L'Alzheimer est assurément la maladie du troisième âge. Sa fréquence augmente proportionnellement au vieillissement de la population. Les neurologues insistent sur la nécessité de préparer le pays à faire face à une plus grande incidence de la maladie, dans l'avenir, en raison de l'allongement de l'espérance de vie et la baisse du taux de natalité. Selon une statistique fournie par la Société algérienne de neurologie et de neurophysiologie clinique (SANNC), 100 000 personnes sont atteintes par le syndrome d'Alzheimer dans le pays. “C'est une estimation nationale réelle, même si nous ne recevons que 10 000 malades en consultation”, a attesté le professeur Areski Mohamed, président de la SANNC, samedi dernier, au Forum d'El-Moudjahid. Alors qu'ils n'entendaient pas parler de cette maladie neurologique dégénérative qui induit une perte graduelle mais définitive des facultés mentales (mémoire, sens de l'organisation et de décision…), les Algériens en sont désormais confrontés directement. Le mal foudroie de plus en plus fréquemment un des leurs. “J'ai fais ma formation de spécialiste à l'hôpital Aït-Idir entre 1975 et 1978. Je n'ai pas vu un seul malade d'Alzheimer. À partir de l'an 2000, nous rencontrons un nouveau cas chaque semaine”, a soutenu le professeur Masmoudi, chef de service neurologie au CHU de Bab-El-Oued. Le témoignage du professeur en neurologie accuse une certaine ambivalence quant à la manière d'appréhender ce qui apparaît comme une hausse de la fréquence de la maladie dans une société qu'on croyait préservée jusque-là contre ce mal. Est-ce une tendance effective à une plus grande incidence de l'Alzheimer en Algérie ou juste un lever du voile sur une maladie qui a toujours existé dans des proportions voisines mais qu'on assimilait – par ignorance— aux manifestations normales de la sénescence? Chez les neurologues, le doute n'a pas de place. Ils établissent une étroite corrélation entre la prévalence, de plus en plus grande, de la maladie et le vieillissement de la population. Pour l'indication, l'espérance de vie est allongée à 76 ans, en Algérie, selon le dernier rapport présenté par le ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière. “La fréquence de la maladie est mondiale. L'OMS s'attend à un plus grand nombre de personnes souffrant d'Alzheimer à cause de la longévité”, a indiqué le professeur Masmoudi. L'Alzheimer touche déjà 26 millions de personnes dans le monde. Le chef de service neurologie du CHU Bab-El-Oued a précisé, néanmoins, que l'âge n'est pas le seul facteur déclenchant la pathologie. La prédisposition génétique, la pollution atmosphérique, la consommation abusive de l'alcool et du tabac ainsi que le régime alimentaire inapproprié sont aussi à l'origine du mal de la vieillesse. Bien que le professeur Areski a rectifié que les signes de l'Alzheimer sont également diagnostiqués chez des patients plus jeunes. C'est rares, mais pas impossible. “Dans quelques années, la proportion des personnes âgées sera plus importante dans le pays. Il faut que l'Algérie s'équipe à la prise en charge de la maladie d'Alzheimer”, a préconisé le professeur Masmoudi. Il a cité l'exemple de la France qui compte plus de 800 000 malades et qui mène une campagne agressive pour informer sur la maladie. “Nous avons besoin d'informer aussi le grand public, pour parvenir au diagnostic précoce. Ainsi, il est possible de freiner son évolution par le traitement existant”, a recommandé le professeur Areski. Il a révélé, alors, que l'ENTV devrait diffuser, bientôt un spot publicitaire sur l'Alzheimer. Son confrère, Pr Ahmed Nacer Masmoudi, a corroboré la nécessité de commencer la thérapie à l'apparition des premiers symptômes de la maladie, car si le patient atteint le stade terminal, aucun traitement ne lui sera efficace. “Les médicaments agissent sur les manifestations de la maladie sans l'éradiquer. Mais au dernier stade, ils n'ont plus d'effet. Ceci est l'état actuel des connaissances. Peut-être que les chercheurs trouveront à l'avenir un remède pour guérir de l'Alzheimer”, a-t-il tempéré. Là aussi de grands espoirs sont fondés sur les cellules souches. Mais en attendant que les expériences de laboratoires aboutissent en des molécules vendues en pharmacie ou en nouvelles techniques médicales, l'on continue à compter sur la famille pour prendre en charge la personne âgée touchée par l'Alzheimer. “Il faut absolument maintenir la solidarité familiale. Les gestes d'affection ont une valeur particulière chez les malades qui ne peuvent plus communiquer par la parole”, a insisté le professeur Ahmed Nacer Masmoudi, qui a ajouté qu'il ne faut surtout pas bousculer ou faire des remontrances à ces gens-là qui ont souvent des gestes incohérents. “Le fardeau est certes lourd pour la famille. C'est pour cette raison, qu'il est utile de créer des hôpitaux de jour”, a-t-il conseillé. Pari difficile à gagner, considérant qu'il n'existe, pour l'heure, que deux centres de consultation. L'un est situé à Alger, l'autre localisé à Constantine. Il est surtout difficile, eu égard au témoignage d'un homme présent au Forum d'El-Moudjahid, d'admettre qu'un aïeul, auquel on vouait respect et déférence, sombre dans la démence au crépuscule de sa vie. Son père avait l'Alzheimer. “La durée de vie d'une personne atteinte par cette maladie est de cinq ans, en moyenne. On ne meurt évidemment pas de l'Alzheimer, mais de l'âge et des complications de santé”, a expliqué Pr Masmoudi. En général, c'est vers 75 ans, que la maladie montre ses premiers signes. Au-delà, les spécialistes en neurologie, invités du Forum d'El-Moudjahid, ont focalisé sur l'importance de la formation des médecins aux maladies émergentes. “Les autorités doivent prendre conscience de l'apparition de nouvelles disciplines médicales en même temps que de nouvelles maladies. La formation doit être actualisée et suivre les échelons internationaux”, a-t-on affirmé.