Une forte pression règne au camp de toile abritant les rescapés du tristement célèbre bâtiment “10” à Réghaïa, dont il ne subsiste aucune trace. Les résidents de ce site se rappelleront toujours de la nuit du vendredi 4 juillet, Fête de l'Indépendance. Leur protestation contre ceux qui ont voulu les flouer a été réprimée par des balles en caoutchouc et des bombes lacrymogènes. Cela s'est passé, avant-hier, à 19h30 à Réghaïa. Samedi 5 juillet. 12h30. Le camp de toile vit un calme trompeur. Il n'y a ni femmes ni enfants. Assis à l'ombre des pins, des hommes commentent les évènements de la veille. Ils sont hors d'eux et ne trouvent pas les mots pour exprimer leur ras-le-bol. Rabah, un homme de 43 ans, même handicapé, exerce dans une entreprise nationale. Sa mère, sa belle-sœur et ses deux neveux ont péri lors du tremblement de terre, dans l'immeuble sarcophage, le fameux “10”. “Je me bats pour mes droits et ceux de mes trois neveux rescapés”, dit-il. Abdelkrim, adossé à un tronc d'arbre, intervient alors : “J'habite à Baraki, mais je suis là pour les droits de mes neveux dont le père, à savoir mon père, était le beau-frère de Rabah.” Les esprits ne tardent pas à s'échauffer, la colère contre la hogra est accentuée par la canicule qui sévit sous les tentes et dehors. “Jeudi vers les coups de 9h30, des policiers et l'administrateur sont venus nous demander de nous rendre à Dar El-Beida pour signer une déclaration sur l'honneur avant d'être relogés dans des F3, situés dans la même commune (Dar El-Beida) dont la superficie habitable serait supérieure aux F4 que nous habitions”, affirme Rabah. D'autres personnes veulent intervenir. Chacun veut vider son amertume. Il a fallu jouer au diplomate pour ramener le calme. “Bien entendu, ajoute Rabah, nous avons accepté cette solution, du moment qu'on allait être relogés dans un même site et cela nous y tenons beaucoup, et ce, pour venir en aide aux veuves et orphelins qui ont toujours vécu avec nous”. Les rescapés concernés par ce qui devait être un heureux événement ne cachent pas leur étonnement, lorsque, le même jeudi, à 18h le directeur du logement de la wilaya d'Alger, venu pour une inspection, refuse de leur indiquer les sites retenus pour les accueillir dans les nouveaux F3. “Il avait pourtant un porte-document contenant la décision d'attribution”, déclare Boualem, un fonctionnaire de 49 ans. Toujours jeudi à 19 h, cette fois des bus et des camions stationnent devant le camp de toile. Des policiers sont venus annoncer la bonne nouvelle : “Mettez vos affaires dans les camions et montez dans les bus qui vont vous emmener vers vos nouveaux logements”, leur lancera l'un d'eux. Connaissant les us et coutumes du système algérien, les sinistrés refusent de conduire comme des moutons de Panurge et de suivre aveuglément les “déménageurs des autorités”. Les résidents exigent d'être fixés sur leur sort avant de quitter leurs tentes. Ce n'est qu'alors qu'un responsable daigne leur répondre : “Trois sites magnifiques ont été retenus, à savoir Tessala El-Merdja, Ouled Fayet et Chéraga. Faites vite pour terminer l'opération rapidement”. Les sinistrés décident alors de désigner 5 personnes chargées d'aller inspecter les lieux. Quel ne fut leur étonnement lorsqu'ils constatent que les logements, situés loin de la ville, sont tous des F2. Ils reviennent pour informer les autres. C'est alors qu'ils décident de couper la route en signe de protestation. Après des palabres avec des responsables, la barricade est levée. Le lendemain, vendredi, les sinistrés, concernés par le relogement, décident, après la prière du Dohr, de réoccuper la route après le silence des autorités. Cette fois, la réaction est brutale. La police charge et disperse les manifestants à coups de bombes lacrymogènes et de balles en caoutchouc. Hier, un calme relatif règne dans le camp dont les occupants n'arrivent toujours pas à comprendre le coup qu'on a voulu leur jouer. “Les autorités ont décidé de nous caser dans des F2, la veille d'un long week-end”, soutient Hakim qui a perdu sa mère, sa femme, sa fille et ses deux sœurs, lors du séisme. Pour le moment, tous les sinistrés sont décidés à ne quitter les tentes que pour des F4 et des F5, en compensation de leurs logements détruits. “Il y a des logements CNEP et EPLF, vides depuis des années, dans des sites pas loin de Réghaïa. L'Etat a les moyens de les acheter et de nous les attribuer”, propose Abdelhakim qui veut protéger ainsi ses trois neveux orphelins. Jusqu'à hier 14h, les autorités brillaient toujours par leur absence et le statu quo demeure entier. Ce problème trouvera-t-il une solution heureuse pour des sinistrés qui ont tout perdu, sauf leur dignité ? S. I.