La campagne du hadj de cette année se caractérise par quatre nouveaux faits majeurs. Le passage des agences de voyages privées du statut de producteur à celui de sous-traitant, l'utilisation exclusive du passeport international, le suivi de la gestion des visas par le ministère de l'Intérieur et la pandémie de la grippe porcine. L'essentiel est que cette année, on assistera à un seul prix administré appliqué par tous les intervenants. L'année passée, le prix du hadj libre a atteint les 45 millions de centimes, pécules en rials en sus, ce qui a été jugé spéculatif aussi bien par les pouvoirs publics que par les citoyens. Le gâteau a poussé des agents de voyages, les uns en solo et les autres sous la bannière d'associations et de syndicats, à des affrontements à couteaux tirés. Cette année, l'Etat a entamé la démarche inverse. Après son désengagement amorcé en 2005, il tend à partir de cette campagne à récupérer, en douce, la gestion du hadj. L'initiative est loin de faire l'unanimité. Si pour certains, c'est la seule mesure à même de remettre de l'ordre dans une maison qui commençait à prendre de l'eau, pour d'autres, cette volt- face résume la non-visibilité de la stratégie économique du pays rendant non crédible et les opérateurs nationaux et les différents programmes de relance auprès des partenaires étrangers, dont les Saoudiens. La brèche ouverte en 2005 et libéralisant, graduellement, le hadj, est en train de se refermer en douce remettant en cause une option lourde arrêtée il y a 5 ans de cela. D'organisateurs, pour ne pas dire producteurs pour reprendre le jargon de la profession, les agences de voyages privées sont passées, cette année, à de simples sous-traitants auprès de l'Office hadj et omra, de statut public, devenu opérateur économique de fait. Si on retient la campagne 2008 comme repère, les agences de voyages privées retenues avaient toute la latitude de recruter leurs clients hors quotas “Biita”, soit les 36 000 candidats tirés au sort au niveau des APC. Ce sont ces agences qui ont déterminé le segment de clientèle ciblée, la nature des prestations adéquates à offrir et, partant, les prix de cession à pratiquer. Si ce dernier était chez la “Biita” de 29 millions et demi de centimes par hadj, pécule en rial y compris, il a atteint les 45 millions de centimes chez certaines agences privées, avec pécule en rial en sus. La nouveauté de la campagne 2009 est que les agences de voyages retenues recrutent leurs clients, exclusivement, dans le lot des 36 000 hadjis sélectionnés après le tirage au sort effectué au niveau des communes du pays. C'est une nouveauté par rapport à la politique initiée depuis 2005 et qui permet à ces agences de cibler les hadjis libres, soient ceux recrutés en dehors du lot tiré au tirage au sort. Rentabilité du hadj : Le piège du seuil de location par lit Le recours aux seuls candidats tirés au sort n'est pas la seule condition imposée aux agences de voyages retenues pour l'organisation du hadj 2009. Ces dernières doivent appliquer le prix de la Biita, soit 29 millions et demi de centimes. Pour faire, l'office invite les agences de voyages à “bien négocier” les prix d'achat des lits, à entendre le service hébergement, en Arabie Saoudite. Se basant sur sa propre expérience, il recommande un seuil maximum de 4 700 rials par hadj. Au-delà, l'office se propose de reprendre aux agences leur quota de 250 hadjis, opération appelée rétrocession dans la profession, pour assurer le pèlerinage de ces derniers sous ses auspices et au prix administré de 29 millions et demi de centimes. Les agences, dont la part est de 250 hadjis pour chacune, sont tenues à faire accompagner le groupe par 3 guides qu'ils devraient prendre, intégralement, en charge. Enfin, selon la structure des coûts de l'office, chaque agence doit se suffire d'une commission de 3 000 dinars par hadj. Pour plusieurs agences de voyages, ce dernier n'est plus rentable. Selon des professionnels, le seuil des 4 700 rials par lit est un piège. “La Biita a eu ce prix en négociant pour plus de 25 000 lits et il est impensable de l'avoir par celui qui négocie pour 250 lits et arrivant tardivement sur le marché”, nous explique l'un deux. Pour un autre, “les gens de l'office oublient que s'ils arrivent à céder le hadj à moins de 30 millions de centimes la place, c'est par ce que l'Etat subventionne ce prix depuis deux années ; comme ils bénéficient des économies d'échelle sur le marché de l'hébergement sans oublier le fait que la grande partie de leurs frais et ceux des Directions des affaires religieuses sont supportées par le Trésor public. Ils se déplacent, téléphonent… aux frais de l'Etat”. La question des 3 guides est, semble-t-il, un leurre. Une agence qui commercialise le hadj à raison de 29 millions et demi de centimes récupérera de ses 250 hadjis, sur la base de 3 000 DA de commission par personne, la seule somme de 75 millions de centimes. Or, le coût de voyage et de séjour des 3 guides, net de la commission, revient à plus de 87 millions de centimes. En d'autres termes, l'agence de voyages doit puiser dans les recettes des autres produits pour financer les 3 guides et combler un déficit d'au moins 12 millions de centimes. Un non-sens économique, nous explique-t-on. Une conclusion qui accrédite la thèse selon laquelle le hadj n'est plus une opération rentable. La démarche est jugée intelligente car elle permet de mettre hors circuit, et en douce, le secteur privé. Hauts cadres de l'Etat : où sont passés les 8 000 passeports D'habitude, en plus du quota de la Biita et des agences privées, les hauts commis de l'Etat bénéficient de près de 8 000 passeports qu'ils distribuaient à leurs proches. Ainsi, chaque ministre avait droit à 15 passeports, contre 10 par wali et 2 par député pour ne retenir que ces hauts responsables. Or, cette année, bien que seuls les passeports internationaux sont retenus, la part des communes n'a pas augmenté. Autrement dit, pour le moment, aucune trace de ces 8 000 places. Du coup, des questions restent posées. Pourtant, ce sont ces 8 000 places qui créent chaque année la pagaille et des situations tendues au niveau des services consulaires de l'Arabie. À cela, il n'est pas inutile de rappeler que, comme tout service rare, le passeport hadj est sujet de convoitises, donc de dérapages contraires à l'éthique. Cette année, l'idée de confier la gestion des visas au ministère de l'Intérieur est avancée. Si elle est nouvelle chez nous, elle est déjà appliquée ailleurs. Reste que dans les conditions actuelles, elle s'impose, aussi, pour la gestion de cette épineuse question des 8 000 places hors tirage au sort. L'idée de rétrocession avancée par l'office a poussé des agences de voyages à crier à la concurrence déloyale de la part d'un organisme censé jouer le rôle de régulateur et non de commerçant, selon eux. L'invitée de la campagne : la grippe porcine Cette année, la grippe porcine s'est invitée dans les débats sur le hadj. Elle sera de plus en plus présente les prochains jours au risque d'être plus déterminante dans le déroulement du rituel que les autres éléments religieux, économiques et même politiques. Le passage au niveau d'alerte décrété par l'OMS au niveau 6 est loin de faciliter les choses. La présence de cas signalés dans des pays émetteurs de hadj, tel le Maroc, laisse la porte ouverte à tous les scénarios, y compris celui de l'annulation de la campagne 2009. En effet, si l'OMS n'a pas appelé à limiter les voyages, le fait que la seule Mecque, réunira dans un réduit ne dépassant pas les 10 kilomètres carrés, plus de 3 millions de personnes venues d'une centaine de contrées représente, à lui seul, une menace sur la santé publique à prendre avec sérieux. Les oulémas d'El-Azhar, en Egypte, ont déjà anticipé en plaidant pour la possible annulation du hadj sur avis des autorités sanitaires. En fait, seuls les oulémas saoudiens observent une réticence à cette idée.