Le Dr Fawzi Derrar est très sollicité, ces temps-ci, par les médias algériens et étrangers. Pour cause, il dirige le laboratoire de l'Institut Pasteur Algérie, référent OMS pour la grippe depuis 2005. Il a été choisi, il y a un mois, par l'Organisation mondiale de la santé, pour surveiller l'évolution de la grippe porcine. Il revient, dans cet entretien, sur la menace posée par le virus H1N1 et les moyens dont dispose l'Algérie pour parer à la pandémie. Liberté : En votre qualité de directeur du laboratoire national de référence OMS de la grippe, pouvez-vous faire le point sur la situation de la grippe porcine ? Dr Derrar : Les données enregistrées jusqu'à l'heure actuelle par l'OMS parlent d'elles-mêmes : 25 288 cas reportés dans 73 pays, avec 139 décès depuis l'apparition du premier cas en avril 2009, c'est-à-dire en moins de deux mois. Ce qu'il faut retenir, c'est le grand potentiel de diffusion de ce virus, avec une virulence qui ne semble pas trop s'écarter de celle du virus de la grippe saisonnière, quoi qu'on ne dispose pas d'assez de recul pour donner un aspect comparatif cohérent. Par contre, la grande source d'inquiétude est la conjonction de cette diffusion mondiale et la circulation de certains virus comme le H5N1 qui sévit toujours avec des cas mortels.Ajoutez à cela, l'approche de la saison hivernale où le virus grippal profite des conditions environnementales pour circuler d'une manière efficace. Tout cela pour dire qu'il faut rester extrêmement vigilants et se préparer dans la sérénité, car n'oublions pas que nous sommes en phase d'alerte de niveau 6. L'OMS vient justement de déclarer la pandémie et de relever le niveau d'alerte à 6. Cela est-il valable pour tous les pays du monde ? Certains pays ne sont pas encore passés en phase 6, sinon les restrictions seront plus grandes, comme la fermeture des frontières et des écoles. L'Algérie est au niveau 5 pour le moment. Elle reste vigilante. Elle pourrait passer directement en phase 6 si un cas de grippe porcine était confirmé sur son territoire. Il semblerait que le virus responsable de la grippe porcine est beaucoup moins virulent que celui qui provoquait la grippe aviaire... Si l'on compare les deux taux de létalité, il ressort clairement que le virus H5N1 est plus virulent… Mais, attention ! nous avons jugé le H5N1 depuis 1997, c'est-à-dire 12 ans, alors que là, on en est à peine à trois mois. Ce qui est sûr par contre, c'est que plus le virus H1N1 actuel circule, plus le risque de mutation est grand… Quel serait l'impact de ces mutations? Là est toute la question. Si le Tamiflu est considéré comme un traitement des symptômes de la grippe porcine, on s'attendait à la découverte d'un vaccin contre le virus H1N1. Qu'en est-il au jour d'aujourd'hui ? L'OMS vient de publier sur son site une liste de souches candidates pour le vaccin contre le H1N1, cela démontre que des travaux scientifiques sont effectués dans ce sens. Je crois que d'ici le quatrième trimestre 2009, on aura une idée plus claire sur ce vaccin. On a fait état de plusieurs cas suspects de porteurs du virus incriminé dans la grippe porcine, en Algérie. Confirmez-vous l'information ? Des cas suspects sont apparus, comme partout dans le monde d'ailleurs. Certains ne répondaient pas à la définition des cas, d'autres se sont avérés être des cas d'infection par le virus de la grippe saisonnière. L'Algérie est-elle réellement outillée pour parer à une éventuelle épidémie de grippe porcine ? Oui, heureusement. D'ailleurs, un dispositif national a été mis en place depuis un certain temps, une cellule de crise existe au niveau du ministère de la Santé et de la Réforme hospitalière qui guette la moindre évolution de la situation et revoie les mesures prises. Ajoutez à cela, la mise en place d'une ligne verte, le 3030, qui est une sorte de lien avec le citoyen. Il faut savoir que les mécanismes qui permettent de mettre en branle ce dispositif ne peuvent être jugés à 100% tant qu'on n'a pas fait face à cette situation chez nous, chose que nous n'espérons pas, bien sûr. Par la suite, des mesures supplémentaires s'exigeront d'elles-mêmes. La saison du pèlerinage aux lieux saints de l'islam est proche. Elle induira inévitablement le brassage de millions de personnes venues des quatre coins du globe. Des mesures particulières sont-elles prises pour éviter une catastrophe sanitaire ? Au-delà, la saison de hadj est-elle carrément compromise ? Dire qu'elle est compromise me paraît un peu exagéré. Une réflexion est engagée au niveau du ministère de la Santé et de la Réforme hospitalière par rapport à cela, et différentes possibilités seront débattues comme par exemple mettre en place une surveillance spécifique au retour des pèlerins de La Mecque, etc. Dans tous les cas, des recommandations seront divulguées dans les jours à venir.