C'est peut-être l'expérience de la République théocratique qui est en train de prendre fin en Iran. Si la revendication des manifestants porte sur les résultats — truqués — de l'élection présidentielle, ce n'est pas tant le choix entre Ahmedinejad et Moussavi qui constitue l'enjeu réel de la crise. C'est le véritable pouvoir personnel, à peine entravé par le contrôle des membres du Conseil des Experts qui l'élisent, qui caractérise le système de la République islamique. Justement, le “réformisme” dont on qualifie certains courants, dont le candidat Moussavi est devenu, depuis vendredi dernier, le premier représentant, renferme l'idée de libérer la politique de l'entrave théocratique. Depuis des années, les luttes démocratiques publiques ont été endurées par des intellectuels et des étudiants. On constate que les femmes sont nombreuses à prendre part aux actions d'opposition à l'élection forcée de Ahmedinejad et que d'une manière générale, le mouvement s'est largement popularisé. C'est véritablement le carcan inquisitoire du clergé qui est dénoncé. Un clergé inquisiteur qui étouffe les libertés sans éradiquer les fléaux de la prédation et de la corruption. Moussavi ne représente pas, en définitive, les aspirations de la jeunesse, des femmes et de la société civile qui s'est mobilisée derrière lui. Les ambitions démocratiques des Iraniens, engagés dans la revendication démocratique, dépassent ce qu'un représentant du système théocratique peut leur offrir. Dans un régime qui fonctionne en vase clos, les progrès politiques sont forcément limités et ont la précarité des rapports de force internes au système. Il n'est pas certain que Moussavi et Khamanei finissent par composer la sauvegarde de l'Etat théocratique étant d'un intérêt commun. Cette limite du leadership de Moussavi se vérifie à la lumière de deux faits : les concessions du Guide suprême pour un nouveau décompte, partiel, des voix, et les tentatives du candidat malheureux de contenir les manifestations qui, elles de leur côté, n'obéissent pas à ses appels au calme. Après avoir été le candidat du moindre mal, il aura été le vainqueur réel de circonstance : à l'évidence les électeurs de Moussavi sont d'abord les opposants de Ahmedinejad et, surtout les opposants de Ahmedinejad représentant de l'ayatollah. Celui-ci l'avait d'ailleurs franchement soutenu. Hormis un mouvement d'étudiants, il n'y a pas d'opposition structurée au système clérical. Seul l'immense potentiel informatique — l'Iran compte vingt et un millions, le troisième plus grand nombre par pays au monde, d'internautes — permet la coordination que l'on observe dans la protestation en cours. Quelque chose d'historique se passe en Iran. Après les nombreuses exécutions commises par le régime depuis la révolution islamique, de nouveaux martyrs de la liberté sont en train de tomber en Iran. Leur sacrifice et le bilan qui sera fait de l'expérience théocratique, si elle venait à être clôturée, permettront l'économie de bien des souffrances et de bien de vies dans le monde musulman. Parce que malgré la faillite iranienne, l'Etat islamique constitue encore une forte tentation pour les dictateurs, parvenus ou potentiels, dans cette zone géographique.