La défense de l'ex-golden boy a décidé d'interjeter le verdict. Elle a un délai de sept jours pour introduire un appel auprès de la Haute-Cour. La justice britannique a décidé d'extrader Abdelmoumène Rafik Khelifa vers l'Algérie. Le sort de l'ex-golden boy a été scellé, jeudi dernier, au cours d'une très courte audience tenue en début d'après-midi au tribunal de Westminster, à Londres. Quelques minutes ont suffi au juge Timothy Workman pour rendre compte de son verdict et révéler les raisons qui l'ont conduit à accepter de renvoyer Khalifa dans son pays. En guise de préambule, le magistrat s'est dit “satisfait des conclusions” auxquelles il est parvenu dans le traitement de cette affaire, mettant en avant le fait que la demande de livraison transmise par les autorités algériennes, à la fin de l'année 2007, est recevable. À ses yeux, trois paramètres justifient amplement le transfert de l'ancien milliardaire. Tout d'abord, il considère que la partie algérienne a fourni “des assurances diplomatiques” portant sur l'annulation du verdict d'avril 2007, prononcé par le tribunal criminel de Blida, dans l'affaire de Khalifa Bank — qui avait condamné l'ancien milliardaire à la réclusion à perpétuité pour association de malfaiteurs, vol qualifié, détournement de fonds et faux et usage de faux. À la place, les autorités algériennes se sont engagées à ce que l'ex-golden boy ait droit à un nouveau procès “suffisamment équitable” et “dans un délai raisonnable”. Par ailleurs, le juge estime qu'il n'y a aucune preuve permettant d'affirmer que Khalifa avait été victime d'un règlement de compte politique impliquant les plus hautes autorités de l'Etat, dont le président Abdelaziz Bouteflika. À ses yeux, la thèse du complot avancée par les avocats du milliardaire déchu ne constitue pas un argument valable. “La demande de son extradition (Khalifa, ndlr) vers l'Algérie n'est pas motivée par l'intention de le sanctionner pour ses opinions politiques”, a expliqué le juge. De même, il a réfuté les allégations selon lesquelles l'ex-golden boy pourrait faire l'objet de maltraitance ou être menacé de liquidation, suite à son transfert. Selon lui, la demande d'extradition comporte des garanties compatibles avec la Convention internationale des droits de l'Homme. Arrivé dans la salle d'audience, peu avant l'énoncé du verdict, Khelifa a paru tendu et anxieux. Les quelques sourires échangés avec Anna Rothwel, son avocate, n'ont pas réussi à le décrisper. En prenant connaissance de la décision du juge, il a esquissé un nouveau sourire, plutôt résigné, comme pour montrer qu'il s'attendait à ce que le verdict soit en sa défaveur. Au cours des dernières auditions, la confiance semblait pourtant l'avoir gagné. De sa place dans le box des accusés, il lui arrivait de se confier à des journalistes, assurant avoir tous les atouts de son côté. Avant de clore la séance jeudi, le juge Workman s'est adressé à lui, tout d'abord pour lui signifier qu'il prolonge sa détention, en attendant l'application de la procédure d'extradition. Celle-ci doit être validée par Alan Jonhson, premier responsable du Home Office. Par ailleurs, le magistrat s'est excusé d'avoir ajourné l'énoncé du verdict d'une dizaine de jours. C'est le 15 juin dernier, en effet, qu'il devait faire connaître sa décision. À la dernière minute, il a requis un temps de réflexion supplémentaire. D'aucuns ont expliqué cet ajournement par le besoin de mûrir sa décision dans une affaire assez complexe. En arrivant au tribunal jeudi, les avocats des deux parties semblaient dans l'expectative, craignant qu'un nouveau report de la sentence soit décidé. Leurs doutes se sont accentués après avoir appris que l'audience, qui devait se tenir le matin à dix heures, a été reportée à l'après-midi. Dans le camp de la défense, Anna Rothwel uniquement a fait acte de présence. Son collègue Ben Branden, qui a conduit les plaidoiries pendant toutes les auditions, a brillé par son absence. Du côté de la partie civile, Me Julian Knowles était le premier à arriver au palais de justice, sans doute impatient de connaître l'issue des auditions et, pourquoi pas, savourer son succès. Très peu disert, il s'est abstenu de livrer son pronostic. Même après le verdict, aucun des avocats n'a voulu s'exprimer. Affichant une profonde déception, Me Rothwell n'a pas souhaité commenter la décision du juge, se contentant d'affirmer que la défense introduira un appel dans un délai de sept jours, auprès de la Haute-Cour (Hight Court). Pour convaincre les magistrats du bien-fondé de leur recours, les avocats de Khalifa doivent revoir le dossier de fond en comble et mettre en évidence les points qui leur semblent avoir été négligés par le juge Workman. Selon une source proche du dossier, la Haute-Cour devra faire connaître sa décision rapidement. En février dernier, cette institution avait confirmé l'ordre du gouvernement britannique de renvoyer un groupe d'individus soupçonnés de terrorisme en Algérie. Pour empêcher leur extradition, ces personnes ont introduit un appel auprès de la Cour européenne des droits de l'Homme. Il est attendu que Khelifa utilise la même voie, si la Haute-Cour valide la sentence du tribunal de Westminster. Evidemment, la multiplicité des actions risque de ralentir le règlement définitif du dossier d'extradition. Mais du côté algérien, la confiance est de mise. Tôt ou tard, dit-on, Khalifa sera remis à la justice de son pays. Selon nos sources, le verdict du juge Workman montre que les allégations de violation des droits de l'Homme et de dépendance de la justice, que l'ancien milliardaire et sa défense ont exploitées pour lui éviter l'extradition, ne sont pas fondées et ont peu de chances de convaincre les juges de la Haute-Cour ou de la Cour européenne des droits de l'Homme. À ce propos, le témoignage de John Leyden, haut fonctionnaire du Foreign Office, au cours d'une des dernières auditions, semble avoir vaincu les ultimes réserves de M. Workman. Ayant pris en charge les cas d'extradition de terroristes vers l'Algérie, M. Leyden avait affirmé qu'aucun des individus renvoyés n'a connu une quelconque maltraitance. Le représentant du Foreign Office fait partie d'un panel de quatre experts (deux pour la défense et deux autres pour la partie civile) qui ont été entendus par le tribunal. Leur audition au printemps avait clos la phase la plus décisive du procès. Khelifa a également livré son témoignage, clamant son innocence et se présentant comme la victime d'une vendetta. Auparavant, les avocats des deux parties ont exprimé leurs opinions respectives sur le dossier d'accusation contenu dans la demande d'extradition. Pour le représentant de la partie civile évidemment, Khelifa n'est ni plus ni moins qu'un escroc ayant transformé sa banque en tiroir-caisse. De son côté, l'avocat de la défense a dessiné de lui le profil d'un jeune entrepreneur à qui l'on a cassé les ailes. Le 11 mars 2008 a marqué le début des auditions. Les débats concernant le fond du dossier d'extradition avaient commencé après la validation par le juge Workman de la forme de la demande introduite par l'Algérie. Il faut savoir qu'en dehors des affaires de terrorisme, le dossier Khelifa est le premier cas d'extradition, pour des faits liés à un crime économique, traité par la justice britannique depuis la signature d'une convention entre l'Algérie et le Royaume-Uni en juillet 2006. Khalifa s'est exilé à Londres en 2003 suite à la chute de son empire financier. Le 27 mars 2007, il avait été arrêté par une cellule de Scotland Yard, sur la base d'un mandat d'arrêt européen délivré par le tribunal de haute instance de Nanterre, en région parisienne, suite à l'ouverture d'une information judiciaire sur la faillite frauduleuse de certaines filiales du groupe Khalifa domiciliées en France. Au mois d'août de la même année, le juge Anthony Evans acceptait son transfert en Hexagone. Cet arrêt avait été suspendu suite à l'introduction de la requête de l'Algérie, considérée comme prioritaire. Jeudi, au tribunal de Westminster, peu de personnes ont assiste à l'énoncé du verdict du juge Workman. Hormis les avocats, des représentants des Home et Foreign Office et des journalistes, le public se comptait sur les doigts d'une seule main. L'ancien chauffeur de Khelifa, qui avait assisté à quelques auditions, ne s'est pas déplacé. Aucune trace par ailleurs de parents de l'ancien milliardaire. En revanche, l'ancien présentateur de Khalifa TV, Ali Oudjana — un transfuge de l'ENTV— comptait parmi les présents. Il avait été la voix de l'ex-golden boy durant la campagne électorale pour la présidentielle de 2004. D'homme entouré, courtisé et choyé, Khelifa fait face à son destin complètement seul. Arrivé à Londres les poches et les comptes en banque pleins, il a dû tronquer son train de vie dorée contre une cellule de la prison de Hollesley. Des anciens codétenus racontent qu'il est devenu accoutumé à la cocaïne dont il s'approvisionne à des prix dispendieux. Qui lui procure l'argent ? Personne ne sait. En tout cas, une chose est sûre. S'il était complètement “détroussé” comme il le prétend, il n'aurait jamais pu s'offrir les services du célèbre cabinet d'avocats londoniens Wilson & Co.