“Le peuple algérien affirme que nul, en Algérie ou à l'étranger, n'est habilité à utiliser ou à instrumentaliser les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l'Etat, nuire à l'honorabilité de tous ses agents qui l'ont dignement servi, ou ternir l'image de l'Algérie sur le plan international.” Jusqu'à l'avènement de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, dont est extrait ce passage, c'était le “qui tue qui ?” et “l'éradication” qui structuraient la polémique, voire la confrontation, qui tenaient lieu de débat. Les adeptes de la question avaient à cœur d'imputer les violences aux forces de sécurité pour disculper l'islamisme de sa responsabilité idéologique et opérationnelle dans le terrorisme et imposer l'idée que ce courant peut constituer un protagoniste politique ordinaire ; en face, leurs contradicteurs s'appliquaient à faire constater la réalité du terrorisme, de son fondement idéologique et de sa fonction politique et à disqualifier, ainsi, l'islamisme comme proposition politique pour incompatibilité avec des droits fondamentaux acquis à l'homme. L'opinion étrangère, pour l'essentiel reproduite sur le moule parisien, appuyait cette formulation dichotomique simpliste et propice à la confusion recherchée par paresse intellectuelle et par calcul politique. La volonté de confusion, largement partagée, a longtemps cloué le débat dans cette approche binaire : “qui tue qui” et “éradicateurs”. Elle arrangeait aussi le pouvoir et les intégristes : cette dualité réductrice fait qu'on devait être avec les islamistes et les terroristes ou avec le pouvoir et son armée ou… on n'existait pas. Sur ces entrefaites, le régime eut la géniale idée de nous faire voter de tout oublier et de renvoyer dos à dos tueur et tué. Le débat “qui tue qui ?” contre “éradicateurs” devait disparaître de la scène et la question des responsabilités aussi, puisque la quête de vérité et de justice est légalement abolie. Pour l'Algérie, le 11 septembre n'a servi à rien. Devant une Amérique blessée, personne dans le camp “rationnel” n'osait plus faire dans le négationnisme du terrorisme islamiste. L'Algérie seule continua à expérimenter son alternative à la lutte antiterrorisme : l'arrangement pour l'oubli. En Algérie, si ce contrat a, pour des raisons de contexte politique, sécuritaire et socioculturel, soumis de larges pans de la société, ne pouvait maintenir cette adhésion, feinte ou sincère, que le temps que dure ce contexte. À l'étranger, le mépris, de la part des “amis de l'Algérie”, du droit à la justice pour les victimes algériennes explique l'indifférence à cette réconciliation par décret. Les “révélations” récurrentes sur Tibhirine confirment ce qui était prévisible : la réconciliation nationale, qui force le silence sur une question de vérité historique et de justice, n'a, localement, qu'une efficacité politique circonstancielle. Et n'en a pas du tout quand des intérêts étrangers doivent remettre en cause la loi de l'oubli concernant cette phase, toujours en cours, de notre histoire. Telle une bombe à retardement, la réconciliation nationale n'aura servi qu'à miner l'avenir sans assainir le présent. M. H. [email protected]