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Quel avenir pour l'Algérie ?
Publié dans Liberté le 10 - 07 - 2003

C'est par cette question que j'ai débuté, le 12 septembre 2002, ce rendez-vous hebdomadaire avec les lecteurs. J'y ai traité de quarante-quatre questions touchant les différents aspects de la crise multidimensionnelle que vit le pays, avec pour objectif de stimuler le travail, en vue d'élargir la base du dialogue sur l'avenir de l'Algérie.
Sans être exhaustif, je rappelle que ces questions ont abordé les quatre dimensions de la crise politique : économique, sociale, culturelle et sécuritaire, à savoir : la répétition des erreurs flagrantes, les élections locales et la régionalisation-décentralisation, la concorde, les errements des dirigeants, la mauvaise gouvernance, la corruption, la stratégie de sortie de crise, la politique du deux poids deux mesures, le rôle de l'Etat, le rôle de la société civile, la privatisation de Sonatrach, la stratégie de relance, la pauvreté, les méthodes de gestion des suites de calamités naturelles, les stratégies industrielles, les Amazighs et la grandeur de l'islam, la bataille médiatique, les causes de la violence…
Après dix mois, sans interruption, c'est-à-dire une année de travail plein, c'est le moment de prendre un congé. C'est alors l'occasion de tenter une réponse à la question sur l'avenir de l'Algérie.
Pour cela, j'utiliserais la parabole de la bouteille à moitié pleine. Mais la bouteille à moitié pleine est aussi à moitié vide ! La moitié vide, c'est la crise multidimensionnelle que vit le pays. Au plan politique, c'est l'incapacité des dirigeants successifs à construire un Etat doté d'institutions capables de mobiliser la nation vers le progrès et la prospérité, pour venir à bout des conséquences du colonialisme au niveau des inégalités, de l'exploitation et de l'élitisme. Au contraire, nous assistons à une dégradation dangereuse de la situation, avec le blocage des institutions et les luttes de clans au sommet de l'Exécutif et du Parlement par les méthodes les plus abominables.
Au plan économique et social, c'est le chômage, la pénurie de logements, le coût social des réformes économiques sans qu'il puisse être comptabilisé comme un investissement sur l'avenir. C'est aussi l'aggravation de la pauvreté, I'accroissement des inégalités, la mauvaise qualité des services sociaux de base (éducation, santé, eau, salubrité), l'enrichissement illicite, la destruction des classes moyennes avec tout ce que cela comporte comme menace sur l'avenir, la fuite des cerveaux et des capitaux, la vulnérabilité excessive aux calamités naturelles : maladies endémiques, séisme, inondations, désertification…
Au plan culturel, c'est la recherche d'une place à l'identité, les langues et la religion qui se manifeste par la violence et la répression. Au plan sécuritaire, c'est l'existence d'un terrorisme aveugle qui frappe les franges de la population les plus démunies et les plus vulnérables et qui est vécu comme une humiliation par tous les citoyens de ce pays.
Ces quatre dimensions de la crise se nourrissent mutuellement, ce qui aggrave dangereusement la situation globale. Cette crise multidimensionnelle intervient dans un environnement national marqué par trois transitions. La transition d'un système politique autoritaire, avec un parti unique, vers un système démocratique avec plusieurs partis. Mais en plus, il y a la transition d'une situation de guerre subversive vers une situation de paix, avec les questions du traitement de l'après-terrorisme et de la concorde ! La transition économique d'une économie administrée vers une économie de marché. Mais aussi, le passage d'une économie de rente basée sur l'exploitation d'une ressource naturelle (les hydrocarbures) vers une économie compétitive, basée sur le travail, la technologie et la science. Avec en prime de complexité, le passage de la dépendance alimentaire vers la sécurité alimentaire ! La transition démographique, avec le changement radical de la structure démographique durant les deux prochaines décennies. Ce sera la stagnation des effectifs de la classe de population de 0 à 15 ans et la forte croissance des effectifs de la classe de population de 16 à 59 ans.
Et c'est par cela que je commence la description de la bouteille à moitié pleine. Le pays va vivre une aubaine démographique durant les prochains vingt ans, puisque le plus gros de la population se trouvera en âge de travailler et aura moins à supporter ses enfants comme c'était le cas depuis l'indépendance et moins à supporter ses parents comme ce sera le cas après les vingt ans ! C'est une aubaine, à condition de leur trouver des emplois, surtout pour les femmes qui vont arriver massivement sur le marché du travail. D'où le besoin de taux de croissance économique très élevés (8 à 10%). Sinon, c'est la calamité. Ce sera une population relativement formée, puisque le quart de la population algérienne se trouve à l'école. Il y a également un potentiel formidable de cadres algériens écartés ou ayant quitté le pays, qui disposent d'une épargne et d'un savoir-faire. Les ressources humaines sont disponibles.
La stabilisation macroéconomique est assurée pour une longue période. L'économie algérienne est dans une situation d'endettement extérieur net positive, puisque le stock de nos réserves dépasse le stock de notre dette. Il n'y a pas de problème de dette intérieure, puisque l'essentiel de la dette du Trésor est contractée auprès des banques publiques, c'est-à-dire appartenant au Trésor. Une fois consolidés les actifs et les passifs du Trésor, il n'y a plus de dette intérieure ! Il y a une balance commerciale très fortement excédentaire, c'est-à-dire que l'Algérie donne plus de ressources au reste du monde qu'elle n'en reçoit. En plus, il y a les perspectives d'augmentation sensible des exportations de produits pétroliers et gaziers. Il y a les potentialités touristiques, la demande d'infrastructures, la demande de logements, les perspectives d'une zone de libre échange avec l'Union européenne…
C'est vraiment une bouteille à moitié pleine, qu'il est facile de remplir. Les obstacles sont plus d'ordre politique et de qualité de gouvernants et de gouvernance. Elle se remplira si nous arrivons à une prise de conscience nouvelle qui rassemble toute la nation, comme celle qui a fait bouger les Algériens en 1954, après avoir tenté toutes les voies et tous les moyens. C'est ce qui va semer l'espoir et la confiance chez tous les Algériens et toutes les Algériennes et leur permettre de consacrer la prochaine élection présidentielle (2004) comme le vrai début d'une solution durable, construite sur une vision claire de l'avenir, mais pas une vengeance de tel ou tel ou une sanction du système prévalant et qui n'a pas été capable de les sortir de la crise. Il faut bien noter que, si le régime peut trouver son compte dans la perpétuation de la situation actuelle au-delà de 2004, l'Etat en sera très fortement affaibli. Ce sera, alors, le chemin vers la bouteille à 90% vide ! Bonnes vacances et profitons-en pour réfléchir à une mobilisation pour le changement dans la direction du progrès et de la prospérité.
A. B.


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