Professeur à l'université des relations internationales de Galatasaray, un quartier d'Istanbul, M. Ilter Türkmen fait un constat sans complaisance sur la situation que vit son pays. Cet ancien ministre des Affaires étrangères sous un gouvernement militaire et ex-fonctionnaire des Nations unies est très tranchant dans ses propos. Il exclut d'emblée que ces attentats soient un complot pour déstabiliser le gouvernement islamiste de Tayyip Recep Erdogan. Il livre aux lecteurs de Liberté son point de vue sur ce que vit son pays depuis plus d'un mois maintenant dans une analyse pertinente. Liberté : Professeur, votre pays a vécu la terrible tragédie des attentats terroristes le mois dernier. Une première analyse, si vous le voulez bien… M. Ilter Türkmen : Ce fut une véritable surprise pour nous. On ne s'attendait pas à cela. Rien ne laissait présager d'un tel drame. Il n'y avait aucune activité particulière des fondamentalistes religieux ou un indice qui pouvaient laisser penser que quelque chose de ce genre se tramait. Cela dit, les attentats qui ont touché certains pays de la région auraient dû nous mettre la puce à l'oreille, d'autant plus que nous avons déjà vécu cela par le passé avec les attentats terroristes d'extrémistes des années 1960 et ceux du Parti des travailleurs kurdes (PKK) d'Abdallah Ocalan par la suite. Quelles peuvent être, selon vous, les raisons ayant conduit à ces attentats terroristes ? À mon humble avis, la laïcité turque dérange énormément, notamment les intégristes islamistes de nombreux pays de la région. J'ai comme l'impression d'assister à un réveil en sursaut de ces fondamentalistes, qui n'admettent pas, 80 ans plus tard, que le califat est révolu. À l'époque, l'abolition du califat est passée complètement sous silence. Personne n'avait manifesté la moindre opposition ou contestation. Aujourd'hui, certains veulent demander des comptes à la Turquie. Mais ce que les gens ont tendance à oublier est que les derniers califes de l'empire ottoman n'avaient de calife que le nom. Ils avaient, certes, le titre, mais n'avaient pas le moindre lien avec leurs peuples. D'ailleurs, à ma connaissance, aucun d'entre eux ne s'est rendu à La Mecque pour accomplir au moins le pèlerinage. Tout au plus, ils se rendaient en Egypte qu'ils gouvernaient par vicaires interposés. Alors comment veut-on maintenant restaurer un califat, qui était purement honorifique. C'est tout simplement de l'utopie. Et la position de la Turquie vis-à-vis de la crise irakienne, n'a-t-elle pas un lien avec ces attentats ? J'y arrive. La position de mon pays vis-à-vis de la crise irakienne peut, en effet, constituer la véritable raison de l'action terroriste, s'il se confirme qu'une force étrangère est effectivement impliquée dans ces attentats. Le fait que la Turquie ait discuté avec les Etats-Unis sur l'éventualité d'un déploiement des forces américaines avant le début de la guerre en Irak et son accord pour envoyer des soldats turcs à Bagdad avant que la question ne soit éludée, peuvent probablement constituer les motifs ayant conduit les terroristes à agir en Turquie. Et les relations étroites liant la Turquie à Israël y sont-elles pour quelque chose ? Etroites ? Il n'y a pas de relations étroites entre Ankara et Tel-Aviv. Nous avons des relations d'intérêts avec Israël, qui se limitent à des domaines bien précis et rien d'autre. L'on évoque l'hypothèse d'un complot pour déstabiliser le gouvernement islamiste d'Erdogan. Qu'en pensez-vous ? Non, c'est totalement exclu. Si complot il y a, il vise la Turquie tout simplement. Erdogan est un islamiste modéré et tant qu'il travaillera dans le respect de la Constitution, il poursuivra sa mission sans aucun problème. Cette thèse ne tient pas la route du tout, vu la situation régnant avant ces attentats en Turquie. Comme je le disais tout à l'heure, la laïcité de l'Etat turc dans cette région et sa démocratisation est mal perçue dans cette partie du monde, particulièrement par les intégristes islamistes qui chercheraient à la déstabiliser dans le but utopique de restaurer le califat. Je leur dis à l'avance, c'est peine perdue. L'histoire ne peut pas faire machine arrière. Restons avec le Chef du gouvernement. Il avait mis à l'index les services de sécurité et de renseignement turcs lesquels étaient défaillants. Êtes-vous de son avis ? Je ne suis pas d'accord du tout. On ne peut imputer aucune défaillance aux forces de sécurité et aux services de renseignements turcs. Les Américains avec toute la logistique ultra-sophistiquée et leurs services d'espionnage et de contre-espionnage de réputation mondiale n'ont pas été en mesure de prévoir les attentats du 11 septembre 2001. Alors comment peut reprocher cela aux services turcs. Cela est inconcevable. Peut-on-dire que les choses sont rentrées dans l'ordre et que le calme est revenu ? Il m'est impossible de répondre par l'affirmative ou par la négative à cette question. Avec les terroristes, il n'y a pas de logique. Ils sont tout ce qu'il y a d'imprévisible sur cette terre. Mon vœu le plus cher en tous les cas est que le cauchemar soit vraiment terminé. Le peuple turc a besoin de stabilité et de sérénité en ce moment pour relancer son économie afin de vivre dans la prospérité. K. A.