Le juge antiterroriste révèle que le général Buchwalter ne l'a jamais sollicité pour faire sa déposition. Et de s'étonner de sa sortie, treize ans plus tard. L'affaire des moines de Tibhirine se poursuit avec les révélations de l'ancien juge antiterroriste, Jean-Louis Bruguière, qui a instruit l'affaire, répondant aux attaques de l'avocat des proches des victimes. Accusé par Me Patrick Baudouin d'avoir refusé d'entendre le général Buchwalter, à l'époque attaché militaire à l'ambassade de France à Alger, le juge a qualifié, dans un entretien à L'Express, les propos de l'avocat d'“injurieux et de mensongers”. Contraint à la réponse, le juge ne se gênera pas d'étaler “les faux propos” de l'avocat, ni de démonter ses arguments. “L'avocat des parties civiles m'avait adressé une longue liste de personnes à entendre, allant d'Alain Juppé à un spécialiste belge du terrorisme. Le responsable de la DGSE et l'attaché militaire de l'ambassade de France à Alger figuraient sur la liste, mais sans leur nom”, a déclaré le magistrat en précisant que “le second, à l'époque, n'a jamais évoqué une participation de l'Armée algérienne comme il le fait aujourd'hui”. Le général Buchwalter, a révélé le juge, ne l'a jamais sollicité pour faire sa déposition. Et de s'étonner de sa sortie, treize ans plus tard. Paradoxalement, comme le met en exergue le célèbre juge antiterroriste, n'agréent l'avocat que les dépositions qui l'arrangent. “J'ai entendu à l'époque le général Rondot, mais sa déposition n'a pas, selon toute vraisemblance, plu à Me Baudouin, qui a ses bons et ses mauvais généraux !”, a-t-il déclaré. Le magistrat décèle dans les déclarations de l'avocat qui l'accuse encore de tentative d'orienter l'enquête non pas une volonté de faire éclater la vérité, mais d'impliquer les services de sécurité algériens pour des raisons idéologiques. “En réalité, depuis le début, cet avocat veut démontrer que les services algériens sont impliqués dans ces meurtres avec la participation de la France ; la droite, alors au pouvoir, étant évidemment complice... Me Baudouin ne défend pas l'intérêt des victimes en se faisant de la publicité avec une polémique purement idéologique”, dit-il. Le juge évoquera, par la suite, le cheminement de son enquête, les documents qu'il a récupérés dont les communiqués du GIA, les auditions, le père Veilleux, supérieur des moines assassinés, l'ambassadeur de France à Alger, Michel Lévêque, Hubert Colin de Verdière, directeur de cabinet du MAE, Hervé de Charrette, le général Rondot qui s'est rendu à Alger pour le compte de la DST et le responsable de la DGSE, Jacques Dewatre. L'avocat évoque ce dernier sous le grade de général alors qu'il était préfet. Erreur que ne manquera pas encore de noter le juge qui estime que “l'avocat a visiblement à peine regardé les procès-verbaux”. Et lorsque le magistrat est touché dans son amour propre, il étalera allègrement les lacunes de l'avocat. “Intouchable”, fait “régner l'omerta” au palais de justice de Paris, a “fait des pieds et des mains pour obtenir ce dossier auprès de la chancellerie”, déclarations que le juge qualifie de “délibérément calomnieuse et outrancière” avant d'asséner une leçon sur les procédures que tout avocat, même débutant, n'est pas censé ignorer. D'abord ce n'est pas le ministère qui attribut les dossiers aux juges d'instruction, mais le président du tribunal. L'avocat dispose d'un droit de contestation du juge en cas de suspicion en introduisant une requête. Conclusion : “Ce n'est pas ainsi qu'on défend les intérêts des victimes ni ceux de la justice”, dit M. Bruguière avant d'achever Me Baudouin, cet “imposteur qui tente d'abuser de la crédulité de l'opinion publique”. “Ce tour de table” des différents acteurs français en poste à l'époque va-t-il boucler la polémique autour des auteurs de l'exécution des moines de Tibhirine ? Djilali B.