“El Nahs wa el Qobtane” est un langage absurde, une forme grotesque, un schéma circulaire, une mise en scène presque parfaite et un théâtre de condition humaine, où les personnages s'enferment dans une spirale. Dans le cadre de son programme de Ramadhan, le Théâtre national algérien Mahieddine-Bachtarzi a abrité, hier et avant-hier, deux représentations consécutives de la pièce El Nahs wa el Qobtane (la poisse et le capitaine), une adaptation d'environ une heure et demie, d'après une œuvre d'Anton Tchekhov, mise en scène par Chawki Bouzid et produite en 2003 par le Théâtre régional de Batna. El Nahs wa el Qobtane, c'est l'histoire d'El Amri el Fahem : un homme ordinaire, impertinent, naïf et malchanceux, qui évolue dans un village inconnu et sait tout de ses habitants. Sa malchance le place dans des situations délicates et compliquées. El Amri el Fahem est, à chaque fois, le témoin… d'un meurtre, d'un vol, d'un crime. Un jour, El Amri el Fahem est le témoin du meurtre d'une femme dont le corps est retrouvé dans un champ. Il est alors emmené au commissariat pour que le capitaine écoute sa déposition. Mais les hommes ne parviennent pas à se comprendre, bien qu'ils soient issus de la même ville et parlent la même langue. Cette dernière, outil de communication, devient un instrument d'incompréhension. Le dialogue entre les deux hommes n'est manifestement pas possible, du moins dans la première partie de la pièce, puisque les deux protagonistes semblaient ne pas parler la même langue et arboraient des discours contradictoires. La pièce a utilisé le “lieu commun”, et les personnages ont notamment usé des onomatopées. Lorsque le capitaine interrogeait El Amri el Fahem, ce dernier trouvait toujours le moyen de dévier la discussion. El Amri el Fahem, malgré son impertinence, voire sa médiocrité, connaissait tout sur tout le monde. Il était au courant de toutes les petites et grandes histoires du village. Mais ce que les hommes semblaient oublier, était la victime. À aucun moment, on ne s'intéressait à cette pauvre femme assassinée ; elle semblait ne plus exister par le fait d'avoir rendu l'âme. Les conséquences de sa mort semblent peu intéresser les protagonistes qui ont préféré focaliser leur attention sur les vivants. D'autre part, El Nahs wa el Qobtane pose un regard critique sur la société. Evidemment, n'est-ce pas là le but de la pièce ? Mais le regard en question est fin et très loin du discours éducatif que certains se plaisent à débiter. Avec subtilité et surtout par l'usage du lieu commun, le propos devient limpide et évident. La pièce ne s'adresse plus à l'être social mais à l'inconscient de l'homme. Le propos est implicite et chaque sensation, chaque geste engendrent une émotion. Les personnages perdus, hagards, peu courageux, très obéissants et si peu sûrs d'eux, nous ressemblent dans leur fragilité et leur humanité. El Amri el Fahem et le capitaine sont à la recherche des valeurs englouties et des rêves éclaboussés. Par ailleurs, les comédiens Kamel Zrara et El Hani Mahfoud ont brillé dans leur interprétation qui a laissé transparaître une excellente direction d'acteurs. El Nahs wa el Qobtane est drôle et subtile à la fois, et propose une autre manière d'aborder la vérité : par bribes. Ces bribes mènent vers le chemin de l'élucidation car la pièce ne se termine pas au tomber de rideau... elle continue à susciter les questions à l'infini.