Ni l'appel de la France à respecter le verdict des urnes ni les affirmations de son ministre des Affaires étrangères, selon lequel le Quai d'Orsay est en contact aussi bien avec Ali Bongo qu'avec ses deux outsiders officiels, n'ont visiblement convaincu l'opinion gabonaise. La commission électorale nationale a fini par rendre son verdict dans la mi-journée de jeudi dernier, après avoir fait longuement durer le suspense, exacerbé les tensions et aggravé la suspicion de fraude qui n'a cessé de peser sur le scrutin présidentiel gabonais de dimanche. Transmis au ministre de l'Intérieur, celui-ci a aussitôt annoncé les résultats à la télévision. Ali Bongo est proclamé vainqueur avec près de 42% des suffrages exprimés, suivi de André Mba Obame et de Pierre Mamboundou avec un peu plus de 25% chacun. Quelques heures auparavant, dans la matinée, un sit-in regroupant des centaines de sympathisants des candidats de l'opposition devant la Cité de la démocratie, où siégeait la commission électorale, a été brutalement dispersé par des forces anti-émeutes, occasionnant plusieurs blessés dont le candidat Pierre Mamboundou. Sitôt après la proclamation des résultats, les partisans du TSA, tout sauf Bongo, ont laissé éclater leur colère. La prison de Port-Gentil a été attaquée et incendiée et les prisonniers en ont profité pour se fondre dans la foule. Des échauffourées ont éclaté çà et là, et certains commerces ont été pillés. Mais, par-dessus tout, ce sont les intérêts français qui sont le plus ciblés. Le consulat de France de Port-Gentil a été attaqué et partiellement endommagé et il a fallu l'intervention du contingent français pour sécuriser les lieux et exfiltrer le personnel. Le géant pétrolier Total a également été la cible d'une attaque et a subi des dommages. Des journalistes français ont été pris à partie dans les rues de Libreville, fort heureusement sans occasionner de préjudices graves. La rue gabonaise est convaincue que la France a soutenu la candidature de Bongo fils et qu'elle lui a donné le feu vert pour détourner le scrutin à son profit. Malgré les dénégations des autorités de l'Hexagone, une grande partie des Gabonais croit à la complaisance, sinon à la complicité de la France, dans ce que l'opposition a qualifié de coup d'Etat électoral. Ni l'appel de la France à respecter le verdict des urnes, ni les affirmations de son ministre des Affaires étrangères selon lequel le Quai d'Orsay est en contact aussi bien avec Ali Bongo qu'avec ses deux outsiders officiels n'ont visiblement convaincu l'opinion gabonaise. Au contraire, cette attitude est qualifiée d'opportuniste, Paris n'excluant pas un revirement de la situation sous la pression de la rue. L'opposition, dont chaque candidat est détenteur de tous les procès-verbaux du scrutin, bureau par bureau, affirme que le candidat élu n'est arrivé qu'en troisième position et que les PV pris en compte par la commission électorale seraient falsifiés. Comme elle dénonce le gonflement de la participation dans certaines provinces et sa minoration dans d'autres. On n'en veut pour preuve que le temps, exagérément long, mis pour dépouiller et centraliser “moins de 400 000 malheureux bulletins”, comme l'a fait remarquer une militante franco-gabonaise sur un plateau de France 24. L'accusation aurait été imparable si André Mba Obame et Pierre Mamboundou ne s'étaient pas déclarés eux-mêmes vainqueurs du scrutin, chacun de son côté, sur la foi de ces mêmes procès-verbaux. Mais, au-delà de la fraude massive qui ne fait aucun doute pour l'opposition et pour de nombreux observateurs, en admettant même que les résultats proclamés soient honnêtes, il convient de souligner que le président élu est appelé à gouverner sans majorité, n'ayant gagné les suffrages que de moins de 20% du corps électoral. C'est l'un des travers de la Constitution gabonaise et de la loi électorale, qui fait remarquer à beaucoup d'analystes la nécessité d'instaurer un scrutin à deux tours afin d'assurer une majorité de plus de 50% au vainqueur. Aussi la question qui se pose avec acuité est de savoir si le fils Bongo a la volonté et la capacité d'associer ses outsiders officiels au pouvoir, et si ces derniers seraient prêts à composer. Rien n'est moins sûr. En attendant la confirmation par la Cour constitutionnelle de la victoire d'Ali Bongo, alors que le couvre-feu est instauré au Gabon, le nouveau symbole controversé de la Françafrique a averti que si l'opposition souhaite coopérer avec lui, ce sera sur la base exclusive du programme sur lequel il a été élu.