À l'instar des autres régions du pays, la mendicité s'étend à Tiaret où elle prolifère et se constitue comme “profession libérale”. En l'absence de mesures adaptées pour l'endiguer et de moyens pour la combattre, elle devient, au fil du temps, un fléau. Ainsi, dans les rues et les stations de bus, aux entrées des banques et des magasins, notamment les boulangeries, sur les parvis des mosquées etc., les mendiants harcèlent les gens et les injurient même quand ils sont insatisfaits. Leur nombre est difficile à estimer dans la mesure où aucune enquête n'a été élaborée pour en connaître l'ampleur et contrecarrer le phénomène. Les causes, on en convient, sont aussi diverses que nombreuses, allant de la pauvreté au handicap, pour les plus âgés, en passant par la perte ou le divorce des parents pour les jeunes et les enfants. Néanmoins, là où le bât blesse, c'est que de nombreux professionnels du “métier” exploitent nourrissons, enfants, personnes âgées et handicapées moyennant une gratification quotidienne pouvant aller jusqu'au double, triple, voire quadruple ou plus de ce que perçoit un fonctionnaire normal. Au demeurant, en dépit de certaines actions menées pour assister les ménages pauvres ou à faible revenu, les pouvoirs publics se voient impuissants devant un tel phénomène qui ne fait que ternir l'environnement social. Une lutte contre ce fléau a été tentée à maintes reprises par les services combinés de l'Action sociale, du Croissant-Rouge algérien, de la Protection civile et ceux de la Sûreté nationale sans pour autant aboutir à un résultat. Les quémandeurs appréhendés étaient chaque fois acheminés vers le centre de transit de Karman où les possibilités d'intégration étaient examinées avec les concernés, avec la nette contribution du Croissant-Rouge mais, hélas, c'est la persévérance qui manquait le plus. “Tendre la main n'a jamais fait partie de notre culture !” martèle un imam que nous avons abordé, enchaînant que “l'Etat, l'action caritative et les professionnels auraient pu agir car il est temps que nos villes et quartiers donnent un sérieux coup de balai qui doit s'inscrire dans le cadre d'une action institutionnelle, familiale ou socioéconomique qui aura à privilégier, l'insertion des miséreux”. En substance, ce dernier jugera que la pauvreté ne justifie pas tout pour peu qu'il faudrait le vouloir… ENTRE COMPLAISANCE ET PAUVRETE REELLE Cependant, pour certains, la mendicité est tout simplement conçue en métier, à l'exemple de cet homme dont le physique et les rides attestent non pas du poids de son âge, mais d'une vie non vécue. Qu'il vente ou qu'il pleuve, ce dernier papillonne, à longueur de l'année, de ville en ville, traînant sa petite famille derrière lui à la quête d'un pactole. “Lors de sa quête quotidienne, ce dernier fait usage de certains stratagèmes pour pousser les âmes charitables à mettre la main à la poche”, dira un de ses voisins qui ne le connaît que trop bien avant de nous dévoiler qu'il lui arrive même de porter le statut d'usurier en prêtant de l'argent à des fonctionnaires contre des intérêts. Parlant toujours de cette personne, un commerçant du coin nous a confié qu'il venait souvent lui proposer des milliers de dinars de monnaie. Rusé qu'il est, ce dernier exhibe à chaque fois une ordonnance médicale pour parvenir à son but en touchant la sensibilité des passants qui ne le connaissent pas et qui n'hésitent pas à glisser la main dans la poche avec le sentiment d'avoir contribué à alléger la souffrance du soi-disant malade. Un cas similaire, celui de cet homme d'un certain âge qui, accompagné de son petit enfant, occupe depuis de longues années les artères de la ville. D'ailleurs, c'est dans de telles conditions qu'il avait, selon certains témoignages, perdu un de ses enfants atteint d'une tuberculose car perpétuellement exposé aux aléas climatiques. Toutefois, ceux qui éveillent plus de questions sont sans nul doute ceux-là mêmes qui ont l'air d'être en bonne santé et relativement bien habillés et élégants. Une balade au marché de Volani, dans la périphérie sud de Tiaret, nous a permis d'avoir une idée sur le quotidien de ces derniers et les raisons qui les ont poussés à recourir à cette pratique. En cette matinée caniculaire du sixième jour du Ramadhan, le marché grouille de monde. Amine, un jeune enfant ne dépassant pas la dizaine, habillé de guenilles brunies de saleté, les mains crasseuses et les pieds à demi nus sillonne délicatement l'allée du marché. À la recherche d'une proie, il guette, plutôt il scrute d'abord les chalands avant de les suivre pour les apostropher. “De grâce, donnez-moi de quoi acheter du pain, que Dieu vous protège.” Usant d'un vocabulaire émouvant, il a pu susciter l'apitoiement de plusieurs personnes qui lui ont remis effectivement quelques pièces. Après quoi, il quitte les allées du marché pour rejoindre, à grandes enjambées, sa mère et lui remettre ce qu'il avait récolté. La maman, visage demi-voilé, assise à même le sol sur un carton de fortune, embrasse son fils tout en caressant sa petite fille arc-boutée près d'elle. C'est ainsi que nous avons abordé la dame pour connaître son histoire. Après un long silence, les yeux larmoyants, elle a fini par nous relater sa pitoyable vie. “Sincèrement, Je n'ai jamais imaginé atteindre un jour ce stade. Mais la vie ne nous a guère épargnés, moi et ces enfants que vous voyez, en me tournant le dos depuis que mon mari s'est remarié avec une de ses collègues. Il nous a tout bonnement abandonnés pour savourer ses jours. Mes parents décédés, mes frères ont refusé de m'offrir l'hospitalité car mes enfants sont vus tel un fardeau pour eux.” Cette dernière, ne pouvant abandonner sa progéniture, a dû quitter Relizane pour venir à Tiaret. Le physique squelettique avec le regard ailleurs, elle éclate en sanglots avant de poursuivre son histoire : “Comment voulez-vous abandonner un enfant qui ne cesse de répéter à longueur de journée : qui se chargera de nous si tu nous quittes toi aussi maman ?” Une autre mendiante, la soixantaine, s'est adressée à notre bureau pour exprimer son désarroi de ne pouvoir bénéficier du couffin du Ramadhan. “Les terroristes ont assassiné un de mes enfants avant que le second ne soit tué lors d'une rixe et s'ils étaient vivants je n'aurai certainement pas à me plaindre aujourd'hui.” Cette dernière, victime de la tragédie nationale, nous a confié avoir une pension qui ne dépasse guère les 1 500 DA “Peut-on vivre de nos jours avec une telle pension”?, fulmine-t-elle avant d'enchaîner : “Je n'ai d'autre solution que de quémander de quoi manger, moi qui souffre d'une hypertension chronique et incapable de fournir le moindre effort.” Elle nous révélera que la justice a rendu le verdict concernant son second fils assassiné, en sa faveur en lui accordant un dédommagement conséquent qui aurait pu la soulager. Mais, incapable de bouger le petit doigt, vu sa situation précaire, l'huissier chargé de débloquer cette somme ne trouve pas mieux que de faire preuve d'un mutisme sans nom. Les pouvoirs publics interpellés Les pouvoirs publics sont interpellés pour définir, à travers une enquête nationale, le nombre exact de démunis et réfléchir à une dynamique de soutien afin d'épurer cet environnement qui mérite pourtant mieux compte tenu des ressources naturelles dont dispose notre pays. Néanmoins, en l'absence de statistiques fiables et précises, il est difficile d'évaluer le phénomène de la mendicité qui fait partie du décor de toutes les villes de ce pays. Pour rappel, le ministre de la Solidarité nationale, Djamel Ould Abbès, avait promis, vers la fin de l'année dernière, de déclencher une enquête nationale sur le phénomène des réseaux de mendicité en Algérie, pour laquelle l'Etat avait affecté une enveloppe financière de l'ordre de deux milliards de centimes. Cette enquête nationale, qui devait préalablement mobiliser des moyens matériels et humains importants en associant notamment des psychologues, des sociologues et des médecins relevant du secteur, est toujours attendue.