D'Alger ou d'Istanbul, de Rabat ou d'Amman, de Tunis ou du Caire, de Tombouctou ou de Dakar : quelle que soit son origine, un musulman qui découvrirait le monde occidental par le quartier parisien de Barbès, en plein Ramadhan, ne se sentirait pas dépaysé. Au lieu de la ville lumière rêvée, de la capitale des anges et des démons fantasmée, il se croirait dans une médina avec son désordre, sa foule compacte, ses mosquées, ses ruelles étroites, ses mendiants, ses voyants et ses chiromanciennes. Mais aussi ses épices, ses sucreries et ses odeurs parfumées. Au pied du métro, des jeunes tentent de fourguer leur chemma et leurs cigarettes. Qu'en ce mois de privation, les papilles frémissent pour une chorba algérienne, une hrira marocaine, une mloukhia tunisienne ou une fakoé malienne, c'est ici qu'il faut calmer ses envies. Sur une étoffe à même le sol ou surmontant un carton, la galette sous toutes ses formes est proposée au chaland. Par des femmes, des enfants ou des vieux. Sur les étals de boissons, le Coca est largement détrôné par le Selecto. Fermenté ou caillé (leben et raïb), le lait s'exhibe fièrement. Comme dans une revanche sur les mauvais jours. Comme dans les pays musulmans, certains commerces se reconvertissent ou convertissent. Tel disquaire a rangé ses CD et DVD. Des gamelles et des plateaux ont pris place pour la préparation de la zalabia et toutes les douceurs nécessaires aux réjouissances ramadhanesques. La boutique du chanteur Nouri Koufi attire des clients venus de la lointaine banlieue. Nombre de restaurants ont suivi le mouvement. D'autres n'ouvrent que le soir en proposant la carte spéciale Ramadhan. Dans le quartier, quelques rares bistrots continuent d'ouvrir la journée. Ils sont quasiment vides. Dans certains, l'heure de l'iftar est attendue autour d'une partie de cartes ou de dominos qui doit se poursuivre en cours de soirée. Les fidèles ont pour eux deux mosquées à la rue Myrrha et à la rue Polonceau. Au coeur de la Goutte d'Or, la mairie de Paris a décidé de construire un Institut des Cultures d'Islam (ICI). En attendant l'achèvement, une préfiguration est installée dans une ancienne école à la rue Léon. Bertrand Delanoë a inauguré vendredi la première veillée d'un cycle qui va se poursuivre jusqu'au 19 septembre. À l'ICI, le patio a été équipé d'un auvent et d'une tente pour rompre le jeûne dans une ambiance conviviale. Chaque jour, un menu particulier est proposé qui permet de faire un voyage dans de nombreux pays. Traiteur autodidacte, Akila el Yatim revisite chaque jour les traditions culinaires du Maghreb, du Moyen-Orient et d'Afrique subsaharienne. À la fin de l'iftar, la cour est investie de musiciens, de conteurs ou de conférenciers. Il n y pas de tri à l'entrée. Tout le monde est bienvenu. On ne vérifie pas la langue pour savoir si le Ramadhan a bien été observé.