UNE VRAI FÊTE Autrefois, la confection des gâteaux en prévisions de l'Aïd tenait autant de l'acte social que de l'expression pâtissière. C'était là l'occasion pour chaque famille d'affirmer son rang social. À peine entamée la dernière semaine de jeûne, que les préparatifs allaient bon train. Les maisons étaient envahies, après le ftor, par les femmes venues aider la maîtresse de maison. Qui n'a pas la nostalgie de ces soirées ? C'était là la vraie fête. Bras dénudés des jeunes filles, mains plongeant dans la pâte, chuchotements des femmes ponctués de rires entendus, cris de joies des enfants piquant une amande ou un doigt de ghars, le tout rythmé par les cadences des tamis, le martèlement des pilons et d'incessants va-et-vient entre la maison et le four et enveloppé des fragrances enivrantes des eaux de rose, de géranium, de fleur d'oranger, de la vanille. Les hommes n'étaient nullement admis ; si la cuisine leur étaient parfois ouverte, les gâteaux restaient une affaire strictement féminine. TOUIZA URBAINE En pratique, ces réunions féminines, véritable touiza urbaine, étaient des forums périodiques ou se transmettait le savoir-faire. Une femme pouvait attendre une vingtaine d'années avant de mettre en pratique l'enseignement reçu. Tours de mains et secrets divers sont conservés par la mère de famille et se transmettent de génération en génération. Il arrive que cette ligne soit déviée sous la forme d'une délégation de pouvoir : le maintien du patrimoine traditionnel est alors confié à une ou deux femmes promues au rang de “chef” et qui, dans certains cas, finissent par avoir la haute main sur toutes les cérémonies gastronomiques du pays. Hélas ! La poésie fout le camp. Télévisions, radios, journaux, magazines, livres d'ici et d'ailleurs ont fini par banaliser les hlawet. L'économie de marché a déjà mis maqrôt, baqlâwa, qnidlette, tcharek en prêt-à-emporter sur les étalages des supérettes.