Le 31 août dernier, le réalisateur Lamine Merbah fait paraître dans des journaux privés une lettre ouverte aux téléspectateurs algériens dans laquelle il dénonce une censure, un charcutage exercés contre des épisodes de son feuilleton Darna Lakdima. Et pour appuyer la justesse de sa protestation, il fait référence à l'article 38 de la Constitution qui est censée être au-dessus de tout et strictement respectée par tous. A l'évidence, cet article de la loi des lois est superbe, magnifique. Il peut sans problème aucun figurer dans les textes les plus emblématiques des Etats-Unis, de la Suède ou de l'Angleterre, en matière de liberté de création et d'expression. Cependant, dans ces pays et dans d'autres, «les chiens de garde» selon l'expression de Paul Nizan sont peu nombreux et la justice respectée, au-dessus de tous dans la majorité des cas, est seule habilitée à avoir «un point de vue» culturel lorsqu'elle est saisie en cas de litige, de censure, de plagiat.La réalisation d'un cinéaste en 2009 n'est pas inédite. Depuis l'indépendance de l'Algérie, nombreux sont les écrivains, les poètes, les caricaturistes, les cinéastes, les peintres, les photographes et les journalistes qui ont subi et subissent encore les méfaits, la bêtise, les humiliations de la censure, cette horreur qui fait régresser tout un pays. Elle s'est banalisée, socialisée et intégrée par les créateurs sous la forme consciente ou non d'une autocensure mutilante pour l'esprit et dégradante pour tous ceux qui l'érigent en dogme culturel, ceux qui ne la dénoncent pas au plus haut niveau pour améliorer la compétitivité et la qualité de la culture nationale.Le réflexe premier, fondé sur la nature d'une politique culturelle transformée en directrice des consciences, et la facilité ont toujours consisté à désigner l'administration, le ministère de la Culture, la télévision, le «système», enfin, tout ce qui représente de près ou de loin les pouvoirs publics, les directeurs des établissements étatiques, des officines, des éditeurs d'écrits ou de musique… Bien entendu, tout ce beau monde a un «casier judiciaire» au niveau de la censure épais comme un dictionnaire. De nombreux responsables culturels ont censuré et censurent, souvent grossièrement, avec vulgarité, sans état d'âme, quitte à devenir un jour «l'arroseur arrosé», oublieux de passés récents peu glorieux. Cependant, les écrivains, les créateurs, les intellectuels et les faiseurs de produits culturels n'ont jamais pensé, à travers une ou plusieurs organisations (associations, syndicats, fédérations) à d'abord balayer devant leur porte, leur conscience et leurs pratiques. Parmi eux, nombreux ont accepté sans contrepartie de diriger la culture, de siéger dans des commissions de lecture-censure et de délivrer des «arrêts» dignes de l'Inquisition. Leur silence a été et demeure assourdissant lorsqu'un des leurs est massacré dans son art. Les exemples sont très nombreux pour ne prendre que le passé récent où on a vu «les chiens de garde» servir pour ensuite subir la censure. Alors ? Dame censure a de beaux jours devant elle tant que la justice n'est pas saisie, tant que la prédation touche aussi la culture et tant que les corporations concernées, désunies accoucheront de courtisans, de médiocres dirigeants et de chercheurs désespérés de miettes. Qui soutient aujourd'hui Lamine Merbah dans sa corporation et le champ culturel ? A. B.