Lamine Merbah est très remonté contre la censure stupide qui a frappé son feuilleton Darna Lakdima. Il nous livre ses impressions avec toute la sincérité qui le caractérise. Darna Lakdima n'est pas un feuilleton comme les autres. Il pose de sérieux problèmes politico-idéologiques directement liés à la décennie noire que les Algériens n'ignorent pas. ça a dû terriblement déranger les responsables de la programmation de la télé... Vous savez, j'ai toujours filmé les réalités objectives sociales ou autres de mon pays depuis 21 ans que je fais ce métier. Cela veut dire que mes convictions m'ont toujours interdit de raconter de simples historiettes, des banalités. Ce feuilleton, qui aujourd'hui fait parler de lui parce que complètement escamoté par une censure stupide, entre dans cette lignée, et c'est pour cela, je crois, qu'il a gêné aux entournures. Moi, je ne sais pas faire le bouffon, et on me le fait savoir en écorchant mon travail. Vous considérez-vous comme un réalisateur engagé ? Si mes réalisations sont un peu le miroir de la société dans laquelle je vis, oui. Moi, je m'inspire du vécu, et donc des problèmes multiformes que nous rencontrons dans la vie de tous les jours. A partir de là ça devient effectivement pour moi un engagement... Vous dites censure stupide... Partout dans le monde existe un vrai comité de censure, mais pas chez nous. Notre Constitution dans son article 38 garantie la protection des auteurs et des créateurs. Elle stipule entres autres qu'on ne peut, et en cas de nécessité absolue, séquestrer une œuvre que sur mandat judiciaire et en présence d'un huissier. Cette procédure est ignorée. On a coupé dans mon feuilleton sans m'avertir. Quand je proteste, il n'y a jamais un interlocuteur qui assume cette responsabilité. Pourtant le scénario a reçu le feu vert... Darna Lakdima pour ceux qui ne le savent pas était destiné pour le ramadhan 2008. J'avais remis les copies le 27 septembre 2008 au DG de l'époque qui les a mises sous le coude après avoir donné paradoxalement son accord. Tout était OK, mais il a fallu que je me démène pour les faire sortir du carton une année après. Le feuilleton (14 épisodes) est passé en commission de lecture qui a fait quelques observations sur la forme et pas sur le fond. J'ai donc fait les repiquages nécessaires et suis reparti confiant. Le traitement qu'on lui a fait subir, hélas, m'ont ramené à la réalité. Il passe le 2e jour du Ramadhan et non pas le premier, ensuite à 11h3O, et avec un épisode en moins (le troisième) qui, selon le directeur de la programmation est dû à une erreur du régisseur d'antenne. Pourquoi le retenir puis le malmener de la sorte... Allez comprendre ! Mais il ne faut pas être naïf. Le sujet est d'actualité et avait donc de quoi déranger ces petits bureaucrates qui ont peur de déplaire au pouvoir mais qui ont, malheureusement, la capacité de détruire des œuvres culturelles. Pour eux, l'idéal c'est de ne pas toucher à la politique, au social... Donnez leur des histoires à dormir debout, et ils sont contents. Franchement, c'est pas mon créneau. Comment réagit le milieu artistique ? Le milieu artistique n'est pas organisé. De plus, avec l'intrusion des pseudo-producteurs qui n'ont rien à voir avec le métier, c'est l'affairisme au sens vulgaire du terme qui gagne du terrain méttant en danger l'avenir des créateurs authentiques. La télé sous HHC s'est ouverte à ces gens pendant une decennie. Résultat : c'est la médiocrité qui s'est imposée. C'est un gros problème. Les vrais producteurs et cinéastes ont été débarqués avec cette consigne : « Créez votre propre entreprise et revenez. » Ils ont monté leurs sociétés, mais quand ils sont revenus, il y avait déja foule devant la porte. Les opportunistes les ont précédés... Pour revenir à Darna Lakdima, Sid Ali Kouiret a lui aussi été en colère... Oui, il a exprimé dans la presse ce qu'il a ressenti comme une humiliation. Il y a aussi le comédien Chelouche qui a eu également le même sentiment. Une réalisation télévisuelle est avant tout une œuvre collective. Je suis donc loin d'être une tête de Turc quand je défends des principes justes.