Le moment choisi par le président américain Barack Obama pour annoncer l'abandon du projet antimissile, que son prédécesseur avait pour l'Europe, a donné lieu à toutes les interprétations, de l'acte de bon sens militaire au grand marchandage stratégique avec la Russie. Il est vrai que cette nouvelle rupture retentissante avec la politique de George W. Bush intervient dans une conjoncture diplomatique fiévreuse et qu'elle concerne directement des pays qui excitent les passions aux Etats-Unis : la Russie, héritière de l'ancienne ennemie numéro un (l'URSS), et la nouvelle "bête noire", l'Iran. L'administration Obama a dû consacrer beaucoup d'énergie à faire taire le soupçon qu'elle avait renoncé au projet ardemment défendu par M. Bush pour se concilier les bonnes grâces de la Russie, qui y était farouchement opposée, ou le soupçon qu'elle sous-estimait ou minimisait le danger iranien. Elle a expliqué avoir opté pour un projet plus adapté et moins cher parce que la menace iranienne avait été réévaluée et parce que des progrès techniques avaient été accomplis dans la défense antimissile. "Je suis moins inquiet, beaucoup moins inquiet quant au potentiel iranien... Ils n'ont pas la capacité de lancer un missile qui pourrait atteindre les Etats-Unis", a dit le vice-président, Joe Biden. L'opposition républicaine s'est immédiatement emparée des propos d'un vice-président sujet aux gaffes. Le parlementaire Roy Blunt relevait que 70 ans plus tôt jour pour jour, la Pologne, où M. Bush avait prévu d'installer une partie du dispositif, était envahie par l'URSS. "Au même moment, le vice-président défend une décision inconsidérée en prétendant que l'Iran ne représente pas une menace pour notre sécurité ou celle de nos alliés", a dit M. Blunt, accusant l'administration de "complaisance" avec l'ennemi. Personne "n'enrobe de sucre glace" la menace iranienne, a répliqué le porte-parole de M. Obama, Robert Gibbs. La menace a seulement fait l'objet d'un réexamen et les recommandations qui ont conduit au nouveau projet ont été faites par les deux mêmes hommes qui avaient soumis en 2006 les avis ayant conduit au projet de M. Bush, a-t-il souligné. Les Etats-Unis continuent à prendre "très au sérieux" cette menace, a-t-il ajouté. Il en a voulu pour preuve la série de rendez-vous qui s'annoncent et où il devrait être beaucoup question de l'Iran : la visite de M. Obama à l'Assemblée générale de l'ONU et un sommet international la semaine prochaine, des discussions avec les Iraniens le 1er octobre. Ce calendrier a renforcé les spéculations. M. Obama cherche-t-il à obtenir un soutien russe beaucoup plus diligent que jusqu'alors pour contrer l'Iran nucléaire ? Cherche-t-il à favoriser la conclusion d'ici à fin 2009 des difficiles négociations sur la réduction des arsenaux nucléaires américains et russes ? "Absolument pas. Ce n'est pas de la Russie qu'il s'agit ici", a dit M. Gibbs. Si la décision a été annoncée si près de telles échéances, c'est notamment parce que le réexamen du projet antimissile était achevé, a estimé un haut responsable sous couvert d'anonymat. Elle est "fondée sur les réalités technologiques et non sur des idéologies rigides", a abondé l'expert John Isaacs, du Centre pour le contrôle des armements et pour la non-prolifération. Cependant, un autre expert, Ted Galen Carpenter, de l'institut Cato, n'exclut pas un échange de bons procédés, évoquant l'autorisation donnée en juillet par la Russie à l'utilisation de son espace aérien pour le transit de soldats et de matériel militaire américains à destination de l'Afghanistan. "Je pense que c'était le geste d'un Moscou conciliant", dit-il.