Bourré de “contradictions à la française”, ce dossier qui évoque une “bavure algérienne” est devenu, à la longue, un moyen pour Paris de faire chanter Alger. L'affaire de l'assassinat par le GIA des moines de Tibhirine, à Médéa, en 1996, est loin de connaître son épilogue. Après la demande de la levée du secret-défense, une demande soigneusement satisfaite dans l'urgence, le quotidien le Figaro a révélé, dans son édition de jeudi dernier, que le ministère français de la Défense a retrouvé 20 documents secrets sur l'assassinat de ces moines, sans en préciser le contenu. La question est de savoir comment ont-ils été retrouvés, voire déterrés aussi vite après la démarche du juge d'instruction Marc Trévidic auprès de trois ministères ? Il s'agit surtout de s'interroger sur les raisons de ce rebondissement alors que Paris avait affirmé en juillet dernier qu'aucune note, de quelque nature soit-elle, du général Bushwalter ne se trouvait dans les archives du ministère de la Défense, qui vient de découvrir — drôle de contraste — le pot aux roses au sein de ses mêmes services ! Selon le Figaro, ces documents “précieux” ont été établis notamment par la Direction générale de la sécurité extérieure (Dgse) sur les sept religieux enlevés dans leur monastère et assassinés en 1996 par le GIA. Et si les dessous du rebondissement de cette affaire relèvent d'un secret de Polichinelle, car il s'agit avant tout d'une affaire franco-française, Paris persiste à imputer cet acte ignoble à Alger et continue à parler de “bavure algérienne”. “Les documents que les services détenaient sur l'affaire ont en fait été retrouvés cet été. Ceux qui étaient classés secret-défense, une vingtaine, ont été transmis la semaine dernière à la commission consultative du secret de la Défense nationale, qui se prononcera sur l'opportunité de les déclassifier d'ici un à deux mois. Le ministre de la Défense, qui s'est engagé à suivre l'avis de la commission, transmettra ensuite au juge antiterroriste les documents concernés. On ignore encore si le Quai d'Orsay et la place Beauvau ont fait preuve d'une diligence similaire”, écrit encore le Figaro qui évoque le caractère “confidentiel” des écrits de la Dgse dont la “communication suscite d'ores et déjà un espoir sérieux pour l'enquête”. Mieux, Paris presse la machine judiciaire en confiant le dossier au juge antiterroriste Marc Trévidic qui a souligné, dans ces “trois notes”, les aspects inhérents à cette affaire. D'ailleurs, le Figaro révèle avoir consulté ces “notes” dans lesquelles ce juge s'interroge si “les rapports du médecin militaire qui a vu les têtes des moines auraient-ils noté des traces de balles ?” et “si les rapports de la Dgse feraient-ils mention de missions de l'armée algérienne et des zones d'action des hélicoptères ?” Avant que le même journal n'écrive : “Le juge dispose d'un nouvel indice pouvant accréditer la thèse d'une bavure”, et ce sous prétexte qu'aucune piste ne sera “négligée” par le magistrat instructeur. En France, l'art de la diversion fait bon office dès qu'il s'agit de pointer le doigt sur un pays comme l'Algérie. Une chose est sûre : avec le seuil du “zéro innocence”, Paris confirme son adage populaire selon lequel “quand on n'arrête pas de coupable, on le fabrique”. Car, après tout, l'affaire de l'assassinat des moines de Tibhirine, si chacun venait à presser l'autre, éclabousserait plusieurs personnalités à Paris. À moins que la France ne veuille réinventer des lectures sur le terrorisme quinze ans après ce crime odieux perpétré contre les sept moines. Et sur cet aspect, Alger aura son mot à dire… FARID BELGACEM