Tout comme dans l'affaire du diplomate algérien accusé à tort par un transfuge des services secrets algériens d'être impliqué dans l'assassinat de Mecili, Nicolas Sarkozy a demandé hier la «vérité» sur le massacre des moines de Tibhirine en Algérie en 1996, et indiqué qu'il voulait la levée du secret-défense sur tous les documents demandés par la justice française. «Je vous dis une chose, je veux la vérité. Les relations entre les grands pays, elles s'établissent sur la vérité et non sur le mensonge», a déclaré le président français lors d'une conférence de presse avec son homologue brésilien Inacio Lula da Silva à Paris. «J'indique de la façon la plus claire que, naturellement, je lèverai le secret-défense sur tout document que nous demandera la justice. Il n'y a pas d'autres façons de faire la vérité, aucune autre façon», a ajouté M. Sarkozy. «Ce sont des faits qui remontent à 1996. La justice est saisie, la justice doit avoir tous les documents», a insisté M. Sarkozy. «On ne peut pas dire que l'amitié entre les peuples et entres les pays peut résister aux mensonges. Il faut faire la lumière, il n'y a rien à cacher. En tout cas, de mon point de vue, je suis vraiment déterminé à ce que la lumière soit faite», a-t-il conclu. Ainsi, Sarkozy veut faire crever l'abcès qui enfle depuis des années dans les relations algéro-françaises et que des ailes des services secrets français alimentent de puanteur et de tensions. Sarkozy, qui s'était rendu en Algérie au lendemain de l'enlèvement des sept moines par une aile du GIA fidèle à Zitouni, semble connaître la vérité des faits et les tenants et les aboutissants des circonstances de l'enlèvement et de la tournure qu'avaient prise les événements. En 1996, les relations algéro-françaises étaient des plus tendues et ce, depuis l'arrêt du processus électoral en janvier 1992 que Paris avait dénoncé avant de prendre ses distances avec les autorités algériennes. L'arrivée de Chirac et de la droite à la présidence française, n'avait pas modifié la nature conflictuelle et tendue des rapports entre Paris et Alger. Cependant, le bicéphalisme de l'Exécutif français n'a pas permis à l'establishment parisien de tracer une politique étrangère commune, encore moins une attitude claire à l'égard de la situation en Algérie. Cet état de fait s'est traduit par une guerre intestine des différents services secrets français dont certains avaient conseillé à Balladur en 1994 d'attaquer l'aéroport d'Alger pour libérer les otages de l'avion d'Air France. Une opération a même été montée et des troupes d'élite ont été aéroportées et déposées à Palma de Majorque après la menace algérienne de tirer sur tout avion militaire étranger qui violerait l'espace aérien algérien. Afin d'éviter le pire, l'Algérie a accepté que l'avion décolle pour Marseille. Certains services secrets français continuaient alors de considérer l'Algérie comme une République bananière où ils pouvaient mener des opérations militaires et intervenir à leur convenance. C'est ce qui s'est passé dans l'affaire de l'enlèvement des moines de Tibhirine. Au moment où les forces de sécurité algériennes tentaient de localiser les ravisseurs pour libérer les otages, les services secrets français ont réussi, étrangement, à établir un contact avec les éléments du GIA, auteurs du rapt et ont engagé des négociations avec eux. L'ambassade de France à Alger et Paris étaient au courant de ce qui se tramait entre la DST et le GIA, avant que la DGSE ne court-circuite ces tractations pour en récolter les éventuels résultats. Les services français de renseignements tentent de retrouver la trace des moines. Philippe Rondot de la DST rencontre Smaïn Lamari, le chef de la Sécurité militaire, qui lui fait part de l'absence de tout résultat. Philippe Rondot se rend alors à l'ambassade de France à Alger, où il rencontre le chef d'antenne de la DGSE, les services secrets français. Ce lieutenant-colonel assure que deux des moines -les plus âgés- auraient été relâchés sur la route de Bône. La DGSE a d'ailleurs transmis une note ultra-confidentielle à ce sujet à Jacques Chirac, en plein sommet anti-terroriste à Charm El Cheikh, en Égypte. Philippe Rondot retourne voir le général Lamari, qui dément. Dès le début, donc, se détachent deux visions du dossier : l'une avec la DST et les Algériens ; l'autre avec la DGSE et le ministère des Affaires étrangères français, qui feront cavalier seul. Donc, sur quoi repose la thèse de ceux qui accusent les services secrets algériens d'être les auteurs de l'enlèvement et de l'assassinat des sept moines ? En fait, il n'existe aucun témoignage sérieux et crédible, si ce n'est des intermédiaires ou des suppositions sur lesquelles il est aisé de construire un scénario. Manifestement, le GIA a réussi, a posteriori, à semer le doute et à envenimer les relations algéro-françaises. En premier lieu, il s'agit de répondre clairement à une question : quel intérêt ont les services secrets français à protéger les services secrets algériens, à supposer que les premiers étaient au courant que ces derniers ont enlevé et tué les moines ? Aucun intérêt n'était possible dans la mesure où politiquement la France et l'Algérie n'étaient pas sur la même longueur d'onde et qu'il y avait même une hostilité dans l'air entre les deux pays. D'autant plus que le silence des autorités françaises s'expliquait officiellement par «le secret-défense» et non «la raison d'Etat». Quand on évoque le secret-défense, on fait allusion à une affaire franco-française et non à une affaire entre Etats. Entre Alger et Paris, il n'y avait alors aucune raison d'Etat, d'autant plus que, quelque mois plus tôt, un incident diplomatique avait élargi le fossé entre les deux pays, lorsque, Zeroual, en campagne électorale pour la présidentielle de novembre 1995, a annulé sa rencontre avec Chirac à New York car ce dernier avait refusé de le rencontrer devant la presse, prétextant que le chef de l'Etat algérien était en campagne électorale et qu'il ne voulait pas donner l'impression qu'il soutenait un candidat contre d'autres candidats. Enfin, le général français à l'origine de cette affaire parle de bavure de l'armée algérienne. Premièrement, pourquoi les services secrets algériens tueraient-ils les moines s'ils voulaient utiliser leur enlèvement pour gagner la sympathie internationale ? Donc, pourquoi tireraient-ils la nuit, sans moyens de reconnaissance sur un groupe du GIA dans la région même où les moines en question pourraient être cachés. Deuxièmement, si les services secrets algériens avaient infiltré le GIA au point d'en prendre le commandement et d'agir en son nom, ne pouvaient-ils pas savoir alors que les moines étaient captifs dans tel endroit et par un groupe déjà identifié ? A ce titre, il ne peut y avoir de bavure, encore moins d'attaque d'hélicoptère et de tir à l'aveuglette. Enfin, si bavure il y a eu, n'aurait-il pas été plus judicieux et plus rentable pour l'Algérie de reconnaître la bavure comme cela se passe dans toute guerre, et présenter ses excuses aux familles des victimes, de prendre toutes les mesures de réparation financières et morales et clore le dossier ? Mais qui peut arrêter les délires d'un général en retraite, sinon la levée du «secret-défense» qu'exige Sarkozy, pour mettre un terme aux luttes intestines des services secrets français afin qu'ils cessent de régler leurs comptes sur le dos de l'Algérie. A. G.