Zerhouni n'a pas encore jugé utile de réagir aux accusations de torture dont il fait l'objet de la part d'une victime. Pour escamoter l'apostrophe qui s'impose, le ministre d'Etat s'est improvisé une règle de communication particulière pour la suite du séjour présidentiel de Sétif : dans ses points de presse, il ne répond qu'aux questions qui concernent le programme de la visite. La presse, dans la conception du pouvoir, n'a pas à s'interroger sur les sujets qui ne lui ont pas été désignés. Octobre 1988 nous a donné, au prix du sang, le droit d'en parler. Le système s'était alors accommodé de dénonciations génériques d'excès commis par des bourreaux anonymes. Après tout, pourquoi réprimer des observations que les ONG du monde entier expriment d'une manière plus insistante que ne le fait la presse locale ? Les supplices infligés à des citoyens par des officiels ou dans des institutions pour divers motifs constituent un secret de Polichinelle. Le pouvoir a bâti son système de maîtrise de la société en attribuant des missions de terreur et d'intimidation à des institutions de l'Etat. Les sévices corporels et psychologiques ont constitué une méthode de répression politique et un instrument de la fonction de police, même si certains tortionnaires se sont illustrés plus que d'autres. Souvent, cette espèce de torture d'“intérêt général” est détournée à des fins personnelles, comme dans le cas Zerhouni qui fait l'actualité. Simples “dommages collatéraux” d'un ordre autoritaire, les tourments infligés aux Algériens doivent rester enfouis à jamais. La première forfaiture au nom de la concorde civile, c'est cette connivence morbide entre le système et ses exécuteurs. C'est elle qui a facilité la seconde, celle qui révèle la collusion entre le même système et les assassins islamistes. L'impunité des crimes de terreur et d'atteinte à l'intégrité des personnes est depuis toujours inscrite dans la culture de pouvoir : c'est ce qui fait que l'amnistie des terroristes n'a point heurté ce qui, chez nous, fait office de morale d'Etat. Il est donc vain d'espérer que le pouvoir laisse une pratique — qui, en partie, fonde le système — être mise à mal par la révélation des cas aussi éloquents que l'affaire Zerhouni. Dénoncer le dépassement en général est un acquis ; dévoiler un dépassement en particulier ne l'est pas encore. Et quand une victime ou un confrère trouve le courage de mettre un nom sur un crime, le silence du concerné n'a d'égal que le black-out d'Etat qui s'abat autour du scandale. Tout se passe comme si on pouvait tout se permettre à condition de le faire à partir d'une position de pouvoir. La solidarité transcende les divergences claniques et les sacrifices rituels de quelques rares caciques déchus, voués à d'éphémères traversées du désert, finissent toujours sur un podium. L'opinion publique, dont je ne sais finalement pas si elle existe, puisqu'elle ne s'engage que par quelques commentateurs de presse, est tenue dans le mépris qu'on doit à des communautés sans mémoire. Le silence répond au silence. Et tout devient alors possible : être homme politique, passionné de droits de l'Homme, intellectuel ou “personnalité” et se taire, par exemple. Et donc tortionnaire et ministre d'Etat aussi. M. H.