Malgré les accords conclus entre Anouar As-Sadate et Menahem Begin à camp David en 1978 sous le patronage du président américain de l'époque Jimmy Carter, c'est certes la paix, mais la normalisation qui devait en découler est loin d'être réalisée. En effet, si les rencontres entre les personnalités politiques des deux pays sont tolérées en Egypte, c'est loin d'être le cas dans les autres domaines, notamment dans celui de la culture. Ainsi, Hala Mustapha, la rédactrice en chef du trimestriel Al-Demoqratiya, est sous le coup d'une procédure disciplinaire de la part du syndicat des journalistes pour avoir accueilli le diplomate, Shalom Cohen, au siège du groupe public de presse Al-Ahram. Le syndicat des journalistes semble ignorer la paix conclue entre le Caire et Tel-Aviv, comme l'indiquent les règles de ce syndicat, qui interdisent à ses membres tout geste de normalisation à l'égard d'Israël, sous peine de blâme ou d'exclusion. Il s'agit d'une disposition héritée du climat de guerre qui a longtemps prévalu entre les deux pays, dont le souvenir alimente encore les sentiments anti-israéliens d'une large partie de l'intelligentsia égyptienne. Voilà une situation en total décalage avec la réalité d'un pays qui reconnaît Israël depuis 30 ans. Allant encore plus loin, Hala Mustapha estime, en faisant référence aux visites régulières de responsables politiques israéliens en Egypte, que “cette politique devrait être révisée”, d'autant plus qu'“elle n'a mené à rien et n'a pas aidé la cause palestinienne”. Elle affirme : “Je pense que le gros de la tendance prônant le boycottage (d'Israël) est alimenté par un milieu médiatique qui n'a pas changé depuis les années 1960”, “alors que le gouvernement égyptien est le plus grand normalisateur avec Israël ; les gens qui agissent de la même manière que lui sont punis”. Pour remédier à cette situation, le syndicat des journalistes égyptiens a prévu d'organiser un référendum non-officiel sur la position des cercles culturels égyptiens vis-à-vis d'Israël. Le résultat de ce référendum déterminera la décision à l'encontre de Hala Mustapha. Les défenseurs de la normalisation entre le Caire et Tel-Aviv, à l'image d'Ali Salem, un dramaturge expulsé du syndicat des écrivains pour avoir visité Israël, pensent aussi que cet ostracisme “va à l'encontre des réalisations de l'Etat dans le domaine de la paix”. Quant aux opposants à la normalisation, en revanche, estiment qu'ils ne font qu'exprimer une forme de résistance passive à un traité de paix voulu par le pouvoir mais pas par le peuple égyptien. Pour Rabab al-Mahdi, professeur à l'université américaine du Caire : “Boycotter Israël, c'est une forme de résistance à la colonisation israélienne en Palestine, à la manière dont Israël traite les Palestiniens.” Par contre, il y en a qui pensent que militer contre la normalisation avec Israël est une façon de s'opposer au régime égyptien, tout en évitant la confrontation directe. En d'autres termes, la société égyptienne n'est pas sur la même longueur d'ondes que son gouvernement.